Mercure de France

Mercure de France, février 1754, p. 173

Mercure de France, février 1754, p. 173

« L’Académie royale de Musique a remis au théatre, le Vendredi 11 Janvier,Castor & Pollux,Tragédie, qui avoit été donnée pour la premiere fois le 24 Octobre 1737. Les Auteurs ont fait à cette reprise des changemens que le Public a trouvés très-heureux. L’Auteur des paroles est M. Bernard, si connu par la douceur de ses mœurs, la délicatesse de son esprit & les charmes de sa Poesie. La Musique est de M. Rameau.
La Scene est aux Enfers, à Sparte, & dans les Cieux.
Le Théatre, au premier Acte, représente le Palais du Roi, avec tout l’appareil d’un Himenée. La premiere Scéne, entre Phébé & Cléone, contient toute l’exposition du sujet.
CLÉONE.
L’Himen couronne votre sœur,
Pollux épouse Télaïre.
Ce pompeux appareil annonce son bonheur ;
Mais j’entens Phébé qui soupire.
PHÉBÉ.
Mon cœur n’est point jaloux d’un sort si glorieux,
Une autre voix s’y fait entendre ;
Ah ! que n’est-il ambitieux !
Peut-être seroit-il moindre tendre.
Filles du Dieu du jour, par quels présens divers
Le ciel marque notre partage ?
Je reçus le pouvoir d’évoquer les Enfers,
Que Telaïre obtînt un plus doux avantage !
Elle commande aux cœurs, ou mon art ne peut rien ;
Un coup d’œil lui rend tout possible,
Je ne fais qu’étonner ce qu’elle rend sensible ;
Que son pouvoir est au-dessus du mien !
Que l’univers la trouve belle,
Je le pardonne à ses appas ;
Mais que l’ingrat Castor m’abandonne pour elle ;
Voilà que mon cœur ne lui pardonne pas.
CLÉONE.
L’Himen du Roi qui va rompre leur chaîne,
Doit vous rendre l’espoir de fixer votre amant.
PHÉBÉ.
Elle aura ses regrets, je n’aurai que la peine
D’esperer encor vainement…
Et si le Roi cédoit aux larmes de son frere
L’objet qui cause son tourment :
Tu vois ce que je crains, voici ce que j’espere.
Cléone en ce moment fatal,
Pour venger ma flâme offensée
Je leur garde un autre rival,
Et je puis disposer des fureurs de Lincée ;
Son amour qu’on outrage est tout prêt d’éclater.
Il veut de ce Palais enlever Telaïre…
Je la vois ; son triomphe augmente mon martyre,
Songeons à l’éviter.
Telaïre déplore sa situation dans un monologue ; elle aime Castor, & elle est sur le point d’épouser Pollux. Castor arrive pour lui faire ses adieux ; Telaïre s’en offense & Castor se justifie, en disant qu’il en a la permission de son époux. Pollux, qui les observoit, paroît en ce moment ; l’amitié triomphe de l’amour, & il céde Telaïre à Castor.
De deux objets que j’aime,
Je fais deux amans fortunés.
La fête qui étoit destinée pour les nôces de Pollux & de Telaïre, est troublée par un Spartiate, qui apprend que Lincée attaque le Palais ; on quitte les jeux pour courir aux armes, & Castor est tué par Lincée. Pollux se met à la tête de ses troupes pour poursuivre le meurtrier de son frere.
Le théatre représente au second Acte le lieu de la sépulture des Rois de Sparte. Ce sont des voûtes souterreines où l’on découvre plusieurs monumens éclairés par des lampes sépulchrales. On voit dans le lieu principal un grand mausolée élevé pour les funérailles de Castor, & environné d’un peuple qui gémit. Télaïre y vient en habit de grand deuil, & elle chante avec tout l’art possible ce fameux monologue, qui commençoit le premier Acte dans la nouveauté
Tristes apprêts, pâles flambeaux,
Jour plus affreux que les ténébres,
Astres lugubres des tombeaux,
Non, je ne verrai plus que vos clartés funébres.
Le désespoir de Telaïre augmente en voyant Phébé qui lui offre de tirer par son art l’infortuné Castor des Enfers, à condition qu’elle le lui cédera. Telaïre consent à tout, pourvû que son cher Castor renaisse. Des chants de victoire précédent l’arrivée du Roi qui vient apprendre à ses peuples que Lincée est immolé ; il s’adresse ensuite à Télaïre.
Princesse, une telle victoire
Doit adoucir pour vous l’horreur de ce séjour.
TELAÏRE.
La vengeance flate la gloire,
Mais ne console pas l’amour.
Pollux ne peut attendrir Telaïre, qui semble avoir toujours devant les yeux l’image de son amant ; elle espere en la promesse de Phébé. Alors Pollux, animé par la gloire, & échauffé par l’amitié, s’écrie :
Non, c’est en vain qu’elle le tente,
Et c’est encor à moi de réunir vos fers :
Aux pieds de Jupiter j’irai me faire entendre.
Le Dieu qui m’a donné le jour,
A mon frere peut le rendre.
TELAÏRE.
Ah ! Prince, osez tout entreprendre :
Montrez qu’aux immortels votre sort est lié.
Jupiter dans les Cieux, est le Dieu du tonnerre ;
Et Pollux sur la terre
Sera le Dieu de l’amitié.
Pollux sort en disant aux peuples d’occuper Telaïre, & de charmer ses beaux yeux par le spectacle de la gloire qu’il vient d’acquerir. Aussi-tôt les tombeaux disparoissent, & laissent voir une campagne agréable aux environs de Sparte ; ensuite des femmes Spartiates se mêlent à la fête des guerriers, & forment un divertissement pour célébrer la victoire de Pollux.
Le théatre représente au troisiéme Acte le vestibule du temple de Jupiter, où Pollux doit faire un sacrifice.
POLLUX, seul.
Present des Dieux, doux charmes des humains ;
O divine amitié ! viens pénétrer nos ames :
Les cœurs éclairés de tes flâmes,
Avec des plaisirs purs n’ont que des jours sereins :
C’est dans tes nœuds charmans que tout est jouissance,
Le tems ajoûte encor un lustre à ta beauté ;
L’amour te laisse la constance,
Et tu serois la volupté
Si l’homme avoit son innocence.
Le Grand Prêtre de Jupiter vient annoncer sa présence. Le théatre change, & Jupiter paroît assis sur un thrône dans toute sa gloire.
POLLUX à Jupiter
Ma voix, puissant maître du monde,
S’éleve en tremblant jusqu’à toi ;
D’un seul de tes regards dissipe mon effroi,
Et calme ma douleur profonde.
O mon pere, écoute mes vœux !
L’immortalité qui m’enchaîne,
Pour ton fils désormais n’est qu’un supplice affreux.
Castor n’est plus, & ma vengeance est vaine
Si ta voix souveraine
Ne lui rend des jours plus heureux.
O mon pere, écoute mes vœux !
JUPITER.
Que son retour, mon fils, auroit pour moi des charmes !
Qu’il me seroit doux d’y penser !
Mais l’Enfer a des loix que je ne puis forcer.
Et le sort me défend de répondre à tes larmes.
POLLUX.
Ah ! laisse-moi percer jusques aux sombres bords,
J’ouvrirai sous mes pas les antres de la terre ;
J’irai braver Pluton, j’irai chercher les morts,
A la lueur de ton tonnerre :
J’enchaînerai Cerbere, & plus digne des Cieux
Je reverrai Castor, & mon pere & les Dieux.
JUPITER.
J’ai voulu te cacher le sort qui te menace ;
D’un frere infortuné tu peux briser les fers,
Si tu descends dans les Enfers ;
Mais il est ordonné, pour prix de ton audace,
Que tu prennes la place.
Tes jours éternels, tes beaux jours
Sont trop dignes d’envie.
POLLUX.
Non, je ne puis souffrir la vie.
Si Castor, avec moi, n’en partage le cours.
Je reverrai mon frere, il verra Telaïre ;
Il est aimé, c’est à lui d’être heureux :
Chaque instant qu’ici je respire,
Est un bien que j’enleve à son cœur amoureux.
JUPITER.
Avant que de céder au zèle qui t’inspire
Vois ce que tu perds dans les Cieux ;
Plaisirs, charmes de mon empire,
Plaisirs, vous qui faites les Dieux,
Triomphez d’un Dieu qui soupire.
Les plaisirs célestes conduits par Hébé entrent en dansant, ils entourent Pollux. Jupiter se retire ; mais la fête la plus brillante & la plus délicieuse qui ait jamais été imaginée, & tous les plaisirs de l’Olimpe réunis ne peuvent arrêter Pollux.
Le théatre représente au quatriéme Acte l’entrée des Enfers, dont le passage est gardé par des montres, des spectres & des démons. C’est une caverne qui vomit sans cesse des flammes. Phébé arrive seule, & après qu’elle a évoqué les Esprits & les Puissances magiques qui paroissent à sa voix, Mercure descend des Cieux, & Pollux entre en même tems. Mercure dit à Phébé qu’elle fait de vains efforts, & que le fils de Jupiter aura seul l’avantage de pénétrer aux Enfers. Phébé veut en vain détourner Pollux de son entreprise, il est intrépide & conduit par l’amitié. Dans le tems qu’il se dispose à entrer dans la caverne, tous les monstres sortent des Enfers pour en défendre le passage, ce qui donne lieu à un trio admirable.
MERCURE, POLLUX, & PHÉBÉ.
Tombez, rentrez dans l’esclavage ;
Arrêtez, Démons furieux :
POLLUX, PHÉBÉ, MERCURE.
Livrez-moi /livrez-lui cet affreux passage.
POLLUX, PHÉBÉ, MERCURE.
Et redoutez / et respectez le fils du plus puissant des Dieux.
Les Démons veulent effrayer Pollux par leurs danses funestes, & par leurs cris.
CHŒUR des DÉMONS.
Brisons tous nos fers,
Ebranlons la terre ;
Embrasons les airs.
Qu’au feu du tonnerre
Le feu des Enfers
Déclare la guerre.
Jupiter lui-même
Doit être soumis
Au pouvoir suprême
Des Enfers unis.
Ce Dieu téméraire
Veut-il, pour son fils,
Detrôner son frere ?
Les Démons continuent leurs danses ; les Furies sortent des Enfers, & paroissent armées de flambeaux & de serpens. Pollux combat les Démons ; Mercure les frappe de son caducée, & s’abîme avec Pollux dans la caverne. Phébé est forcée de rester, & la rage dont elle est saisie, lui fait dire aux Puissances magiques qu’elle avoit évoquées :
Si Castor reprenoit la vie & son amour…
Esprits jaloux, haine fatale,
Et vous que j’appellois pour presser son retour ;
Ah ! fermez-lui plutôt la barriere du jour,
S’il doit vivre pour ma rivale.
Le théatre change, & représente les Champs Elizées arrosés par le fleuve Lethé. Des Ombres heureuses paroissent dans l’éloignement, & Castor s’avance seul sur le théatre. Les Ombres heureuses s’approchent en vain en dansant autour de lui ; leurs plaisirs tranquilles ne le touchent point, il n’est occupé que d’une tendre amante qu’il ne verra plus, & qui lui arrache des regrets. Les danseurs des Ombres heureuses sont interrompues par plusieurs voix qu’on entend derriere le théatre.
Fuyez, fuyez, Ombres légéres,
Nos jeux sont prophanés par des yeux téméraires.
Pollux entre & les rassure ; il embrasse ensuite son frere. Cette Scéne fait beaucoup d’effet, & est un vrai symbole de l’amitié. Pollux veut rendre Castor au jour, & rester à sa place dans les Enfers. Castor n’y sçauroit consentir : cependant la mort de Telaïre que Pollux lui annonce comme certaine, lui fait prendre un parti également tendre & héroïque.
CASTOR.
Oui je cède enfin à tes vœux.
J’rai sauver les jours d’une amante fidéle ;
Je renaîtrai pour elle ;
Mais puisqu’enfin je touche au rang des immortels,
Je jure par le Stix qu’une seconde aurore
Ne me trouvera pas au séjour des mortels.
Je ne veux que la voir, & l’adorer encore.
Et je te rends le jour, ton thrône & tes autels.
POLLUX à Mercure.
Ses jours sont commencés ;
Volez, Mercure, obéissez.
Pollux se retire avec les Ombres qui veulent retenir les deux freres, & Mercure enleve Castor dans un nuage.
Le théatre au cinquiéme Acte représente une vûe agréable des environs de Sparte ; il commence par une Scene très-tendre entre Castor & Telaïre ; on entend ensuite des chants de réjouissance, ce sont les peuples de Sparte qui viennent féliciter ces heureux époux. Castor leur dit d’un ton pénétré :
Hélas ! vous ignorez que votre attente est vaine.
TELAÏRE & le Chœur
Pourquoi vous dérober à des transports si doux ?
CASTOR.
Peuples, éloignez-vous,
Vos désirs augmentent ma peine.
Le peuple sort. Castor veut absolument quitter Telaïre ; mais elle le retient toujours. Le tems s’écoule promptement quand on est avec ce qu’on aime. Castor n’a pas rempli son serment ; on entend des coups de tonnerre. Telaïre en est effrayée, & elle s’écrie :
Hélas ! c’est moi qui t’ai perdu.
CASTOR.
J’entends frémir les airs, je sens trembler la terre.
C’en est fait, j’ai trop attendu.
ENSEMBLE.
Arrête, Dieu vengeur, arrête.
Le bruit redouble.
CASTOR.
L’Enfer est ouvert sous mes pas,
La foudre gronde sur ma tête.
Telaïre tombe évanouie de frayeur.
Ciel ! ô Ciel, Telaïre expire dans mes bras !
Arrête, Dieu vengeur arrête.
Cette situation est touchante jusqu’à arracher des larmes, ce qui n’est pas ordinaire dans les Tragédies lyriques.
Une symphonie mélodieuse succéde au bruit de la foudre. Jupiter descend du Ciel sur son aigle, & dit à Castor :
Les destins sont contens, ton sort est arrêté,
Je te rends à jamais le serment qui t’engage ;
Tu ne verras plus le rivage
Que ton frere a quitté ;
Il vit, & Jupiter vous promet le partage
De l’immortalité.
Pollux reparoît, & vient apprendre la mort de Phébé, qu’un malheureux amour a précipité dans les Enfers. Ensuite on voit les cieux s’ouvrir, qui laissent voir une partie du Zodiaque. Le Soleil, sur son char, commence à le parcourir. On voit la place destinée aux Jumeaux. Les Génies qui président aux Planétes & aux différentes constellations, occupent les côtés du théatre. Dans le fond est le Palais de l’Olympe. Jupiter, Pollux, Castor, Telaïre, le Soleil, tous les Dieux de l’Olympe, & les Génies qui président aux globes célestes paroissent ensemble.
JUPITER à Pollux & à Castor.
Tant de vertus doivent prétendre
Au partage de nos autels ;
Offrons à l’univers des signes immortels
D’une amitié si pure & d’un amour si tendre.
A Telaïre.
Et vous, jeune mortelle, embellissez les cieux,
Le sort accomplit ses promesses ;
C’est la valeur qui fait les Dieux,
Et la beauté fait les Déesses.
Les Génies qui président aux Planétes & aux différentes constellations forment le divertissement, pendant lequel Castor & Pollux vont remplir la place qui leur est destinée sur le Zodiaque.
La musique de cet Opéra est digne de M. Rameau ; c’est le plus grand éloge que l’on en puisse faire. Quoique Castor & Pollux n’ait eu dans sa nouveauté qu’un succès médiocre, les connoisseurs regardoient cet ouvrage comme un des plus beaux de l’Auteur, & le Public paroît aujourd’hui confirmer leur jugement. On a fort goûté dans le premier Acte, le premier air de violon dansé par Mlle Lani & on a extrêmement applaudi, avec justice, le bruit de guerre qui termine cet Acte. Le second Acte ouvre par le chœur Que tout gémisse & par le fameux monologue Tristes apprêts, deux morceaux de la plus grande réputation, & qui sont faits pour réussir par tout. La fête d’Hébé, dans le troisiéme Acte, a réuni tous les suffrages, sur tout l’air sur lequel on a mis les paroles, Que nos jeux comblent vos vœux. Le quatriéme Acte est sans contredit le plus beau de l’Opéra ; on y a applaudi avec transport le Trio en contraste avec le Chœur des Démons, & l’admirable Chœur qui suit, Brisons tous nos fers. La fête des Champs Elisées qui vient ensuite, n’est pas inférieure au commencement de l’Acte, & fait avec la fête infernale une opposition heureuse. Enfin dans le cinquiéme Acte, la scene de Castor et de Telaïre qui est parfaitement rendue, a été généralement applaudie. Le Poëte qui a fait un ouvrage très-théatral & rempli de situations, a fourni au Musicien l’occasion dont il a profité en homme de génie, de tracer un grand nombre de tableaux, & du plus grand genre. On auroit désiré en général dans cet Opéra un peu moins de fêtes, & des airs chantans un peu plus variés, ou du moins un peu plus sortans ; il y a apparence que ceux du troisiéme et du quatriéme Acte, qui sont très agréables, auroient fait plus d’effet s’ils avoient été mieux chantés. M. Chassé a mis dans son rôle beaucoup de noblesse, M. Jeliote beaucoup d’ame, Mlle Fel beaucoup d’expression, & Mlle Chevalier beaucoup d’action. Le succès de cet Opéra est d’autant plus flateur pour M. Rameau, que ce succès est accompagné de la plus grande estime pour l’ouvrage & pour l’Auteur. Le Public, à la première représentation & dans les suivantes, a donné à la personne de M. Rameau des marques de sa satisfaction par des applaudissemens vifs & réitérés.
Après avoir donné une idée du Poëme & de la Musique, nous insisterons un peu sur les Ballets qui nous ont paru ingénieusement dessinés.
La fête du mariage de Castor & de Telaïre, unis par Pollux, qui sacrifie son amour pour Telaïre à l’amitié qu’il a pour son frere, forme le Divertissement du premier Acte. Ce Divertissement commence par un grand air à deux tems, dans le genre de ceux qui étoient autrefois exécutés par les plus grands danseurs. Mlle Lani, qui danse cet air, y fait voir la plus forte, la plus grande & la plus parfaite exécution. Suivent deux menuets dansés en pas de deux, l’ariette chantée par Castor, deux gavottes & deux tambourins gais en forme de contredanse, dans lesquels Mlle Lani montre autant de légereté & de vivacité qu’elle a montré de noblesse & de fierté dans son premier air. C’est lorsque le Ballet reprend un des tambourins, que le Divertissement est interrompu par l’arrivée d’un Spartiate, qui annonce l’entreprise de Lincée. Tout prend les armes, & les danseurs ne sont plus alors que des guerriers qui vont au combat, les uns avec Pollux, & les autres avec Castor.
L’objet de la fête du second Acte est de célebrer le triomphe de Pollux, qui a tué Lincée. Sur l’air qui a servi de marche à l’entrée triomphante de Pollux, deux Athletes, Mrs Laval & Hyacinthe, paroissent d’abord attendant leurs adversaires, Mrs Lani et Vestris, qui arrivent bientôt, chacun choisit son combatant, ce qui forme un double pas de deux. Après que Mrs Lani & Vestris ont fait voir  à plusieurs reprises leur supériorité, ils achevent de vaincre & de renverser entierement leurs adversaires, qui succombant & presque à terre, les regardent pour leur demander grace. Ce tableau, un des plus frappans qu’il y ait eu au Théatre, a produit le grand effet qu’on en attendoit. Ce n’est pas tout. Dans l’instant même, sur un air gai à trois tems, en forme d’air de triomphe, accourent en dansant deux femmes Spartiates représentées par Mlles Lyonnois & Labatte, chacune une couronne à la main : elles les présentent aux vainqueurs & obtiennent la grace des vaincus, ceux-ci se retirent, & les triomphateurs dansent avec les deux femmes Spartiates. A la fin du pas de quatre elles vont se mettre à la tête d’un corps d’entrée de femmes, qui vient se joindre à celui des hommes pour former un Ballet général. Ensuite après une loure ou un air d’Athletes, air de caractere & de réputation, viennent deux tambourins. Mlle Lyonnois qui les danse, y fait un très grand plaisir. Le Divertissement finit par un Ballet général.
On voit dans la fête du troisiéme Acte, les Plaisirs célestes, qui conduits par Hébé, cherchent à détourner Pollux du projet qu’il a de renoncer à l’immortalité pour aller délivrer son frere.
Ce Divertissement commence par un air connu sous le nom d’Entrée des plaisirs célestes. L’Enchanteresse, Mlle Puvigné, qui fait le personnage d’Hébé, entre à la tête du corps d’entrée : elle semble dans ce premier air faire ses dispositions avec la troupe pour ce qu’elle doit exécuter ensuite. Sur ce que Pollux dit à cette troupe, les femmes du corps d’entrée se présentent à lui en attitudes extrêmement bien groupées, les bras entrelacés avec leurs guirlandes, pendant un petit chœur de femmes, sur ces paroles :
Qu’Hébé, de fleurs toujours nouvelles,
Forme vos chaînes éternelles.
L’indifférence que Pollux montre pour tous ces objets, donne lieu à Hébé d’agir elle-même ; c’est alors que sur cette voluptueuse Sarabande, dont la parodie commence par ces paroles : Voici des Dieux, &c. Mlle Puvigné fait en graces nobles & tendres tous ses efforts pour détourner Pollux de son projet. On lui chante la parodie de cette Sarabande ; on reprend le même petit chœur, sur lequel les femmes du ballet repétent leurs mêmes pas d’attitudes ; tout cela ne le détermine point. Alors Hébé essaye, sur un air d’un mouvement plus léger, à le piquer par des graces plus légeres. L’inutilité de ses efforts la fait enfin recourir à des graces vives & enjouées, sur deux gavotes, à la fin desquelles elle se retire un peu au fond du théatre à la tête de tout le ballet, comme pour former une barriere qui empêche Pollux de sortir. Il se dégage de ces chaînes, & sort. Sur les premieres mesures de l’air de l’entracte, tout le ballet le suit en dansant jusques dans la coulisse.
Le quatriéme Acte a deux divertissemens. Le premier est une magie. Ce sont des Démons, des Spectres, des Furies même qui sortent des Enfers pour empêcher Pollux d’y pénétrer.
Avant le trio de Mercure, de Pollux & de Phébé, auquel se joignent les chœurs, les Démons se présentent à la porte des Enfers pour en défendre l’entrée à Pollux.
Après le trio & le double chœur des Démons & des Magiciens de la suite de Phébé, sur un premier air, les corps d’entrée des Démons s’avance d’abord sur Pollux ; vient-ensuite un pas de deux de Mrs Laval & Hyacinthe, puis les trois Furies, par les Dlles Lyonnois, Labatte & Chevrier : ces personnages, tantôt séparément, tantôt réunis en pas de cinq, cherchent par leurs attitudes à effrayer Pollux. Après l’admirable chœurBrisons sous nos fers, vient un second air d’un mouvement encore plus vif, c’est alors que toute la danse redouble d’efforts pour éloigner Pollux ; mais Mercure, en les frapant de son caducée, & Pollux en montrant le plus grand courage, les force à rentrer dans la caverne, où Pollux s’abîme avec Mercure.
Le second divertissement de ce quatriéme Acte est d’un caractere tout opposé. C’est l’image des plaisirs doux & tranquilles dont jouissent les Ombres heureuses aux Champs Elizées. Après que Castor a chanté le monologue Séjour de l’éternelle paix, &c. sur un air qu’on appelle l’Entrée des Ombres heureuses, différentes quadrilles d’Ombres arrivent en dansant, elles entourent Castor, & semblent l’inviter à prendre part à leurs jeux : puis sur une petite loure gaye & légere, & sur une gavotte, les Dlles Puvigné & Raix, & M. Lepy, entrent successivement, forment des pas seuls, des pas de deux, des pas de trois, paroissant tantôt s’éviter, tantôt se chercher, pour peindre cette légéreté qui fait le caractere des Ombres. Le corps d’entrée, dans sa partie, se divise de même en petites troupes, pour aider à la vérité du tableau. Après un menuet & le chant de sa parodie viennent deux passepieds, dansés par Mlles Puvigné & Raix. Lorsque le premier de ces passepieds est repris par le corps d’entrée, il est interrompu, avant la fin, par une symphonie, & ensuite un chœur qui annonce l’arrivée de Pollux. Le divertissement se termine par la suite du ballet.
Dans le cinquiéme Acte, après que Jupiter a ordonné l’installation de Castor & de Pollux au ciel, commence un divertissement formé par les Génies qui président aux globes célestes, sur une chaconne dans laquelle il se trouve des couplets propres aux actions du ballet. Le Soleil représenté par M. Vestris, paroît, & par sa danse exprime la noblesse & la majesté de ses révolutions. Venus & Mercure, représentés par M. & Mlle Lani, qui tournent autour du Soleil, forment un pas de trois avec lui. La Dlle Raix représentant une cométe, vient par des courses rapides & irrégulieres se joindre au pas dont elle rompt les figures, ainsi que du corps d’entrée, lorsqu’elle s’y mêle. Après un grand chœur, la Dlle Raix danse seule une petite gigue en loure ; enfin, après une ariette que chante Castor, viennent deux gavottes, sur lesquelles la Dlle Raix augmente de vivacité en traversant le ballet dans toutes ses parties presqu’en même tems, ce qui forme un ballet général vif & brillant qui termine le divertissement & l’Opera.
Il seroit inutile de dire que M. Lani, compositeur des Ballets de l’Opera, a beaucoup de talent. Nous venons de donner des preuves ausquelles il nous paroît difficile de se refuser. »