Mercure de France

Mercure de France, août 1757, p. 187

Mercure de France, août 1757, p. 187

« Voici l’Extrait des Surprises de l’Amour, que l’Académie Royale de Musique continue à représenter.
L’enlévement d’Adonis est le sujet de la premiere entrée. La scene est dans le bois de Diane. L’Amour ouvre cet acte en disant :

Pour surprendre Adonis, j’abandonne les Cieux ;
C’est l’Amour qui le suit, c’est Vénus qui l’adore :
Diane trop long-longtemps le dérobe à nos yeux.
C’est ici chaque jour qu’il devance l’aurore :
Et je viens plus touché de l’emploi glorieux
D’instruire un jeune cœur des secrets qu’il ignore,
Que de régner sur tous les Dieux.

L’heureuse exposition ! on ne peut pas en faire une plus claire, plus précise. Nous osons la donner pour modele. Adonis paroît. L’Amour s’éloigne un moment pour l’observer. Adonis se plaint du trouble de son cœur, où les desirs commencent à naître. La chasse & les forêts n’ont plus de charmes pour lui. L’Amour reparoît sans armes ; & feignant de s’être égaré, demande à Adonis s’il n’auroit point vu l’Amour. Adonis témoigne la crainte, & presque l’horreur qu’il a de ce Dieu qu’on lui a peint comme un monstre dangereux. Le fils de Venus lui repond :

Hélas ! peut-on le craindre ? il est fait comme vous.
Dans un âge si tendre ; avec des traits si doux,
Le Dieu qui fait aimer, le Dieu qui rend aimable,
Est-il un monstre redoutable ?

Cette scene est si bien dialoguée, que nous la mettrions ici toute entiere, si nous ne l’avions déjà transcrite en partie dans le premier volume de Juin. Nous nous bornerons donc à dire que l’Amour se fait connoître aux yeux d’Adonis, & qu’il lui parle en faveur de Vénus, sa mere. Adonis s’écrie :

Au trouble de mon ame, au charme de sa voix,
Pouvois-je, ô Ciel ! le méconnoître ?

Une symphonie agréable annonce l’arrivée de Vénus. Les Graces la devancent. Elles environnent Adonis, qui ne sçait d’abord à laquelle il doit donner la préférence. Vénus paroît, & fixe son choix. La Déesse reste seule avec lui, & lui demande :

S’il étoit un autre séjour
Où la voix du plaisir se feroit seule entendre,
Où toujours adoré, vous seriez toujours tendre…
Quitteriez-vous ces lieux pour un séjour si doux ?
Parlez !

Adonis lui répond par ces mots heureux :

Déesse, y seriez-vous ?
VÉNUS
Oui, charmant Adonis, j’y serois pour vous plaire ;
Pour jouir d’un bonheur qui fixe tous mes vœux,
Pour y brûler de tous les feux
Qu’amour peut allumer dans le sein de sa mere.
Fuyez une loi trop sévere,
Je garde un sort plus doux au plus beau des mortels :
Venez partager à Cythere,
Et ma tendresse, & mes Autels.
ADONIS jettant son javelot.
Ah ! je vous suis partout : c’est l’Amour qui l’ordonne :
Eh ! qui pourroit lui résister ?...

La scene finit par un duo, qui est interrompu par un bruit de chasse. L’Amour rentre tout effrayé, en disant :

Diane, assemble ici sa cour ;
Fuyons, sortons de ce séjour,
Et cherchons dans les airs une route nouvelle.

L’Amour, Vénus & Adonis sortent ensemble : des Chasseurs & des Nymphes entrent en dansant, & forment un divertissement qui est bientôt troublé par l’arrivée de Diane, qui se plaint qu’on vient d’enlever Adonis, & de le soustraire à ses loix. L’Amour, s’écrie-t’elle :

L’Amour a-t’il séduit sa crédule innocence ?
Cruel, je reconnois tes coups :
Courons, courons à la vengeance ;
Volons sur ses pas, armons-nous.

Mercure descend du ciel, & dit à Diane, qu’Adonis va paroître à ses yeux ; mais qu’elle craigne de se laisser surprendre. Vénus paroît en même temps sur un nuage, ayant devant elle l’Amour & Adonis, déguisé sous les mêmes traits & avec les mêmes attributs. Elle les présente tous deux à Diane, en lui disant de choisir si elle l’ose ; Diane qui craint que son choix ne tombe sur l’ennemi qui l’offense, sort indignée, après avoir répondu fièrement à Vénus :

Garde un ingrat que je te livre :
Dès qu’il a pu te suivre,
Il n’est plus digne que de toi.

Vénus triomphe, & le théâtre change à la voix de l’Amour. On voit les jardins d’Amathonte ornés de berceaux & de portiques dorés. Cette décoration est des plus galantes & des mieux caractérisées. Cette entrée est heureusement terminée par le ballet de Diane & Endimion. Il est très bien lié au sujet, & annoncé d’une manière aussi naturelle qu’ingénieuse, par ces paroles de l’Amour adressées à Adonis.

Diane, que tu crois si fiere&si sauvage,
N’a pas toujours gardé son cœur,
Et je veux que ces jeux te retracent l’image
Du Berger qui fut son vainqueur.
Nous ne nous étendrons pas davantage sur ce divertissement, dont nous avons loué avec justice l’idée, l’exécution & la musique.

La seconde entrée (la Lyre enchantée) est moins riante que la premiere ; mais elle est embellie par des détails qui doivent rendre indulgent pour le fonds & pour l’ensemble. Le Théâtre représente un vallon champêtre au pied du Mont Parnasse, dont on voit les deux côteaux couverts de palmiers, avec des trophées qui caractérisent les Muses & les Arts. La Syrene Parthenope commence l’acte par ces vers :

Charme de mon vainqueur, doux accent de ma voix,
Formez avec mes yeux un si tendre langage,
Qu’il puisse écouter mille fois,
Et mes sermens,&mon hommage, &c.

Ce vainqueur est Linus, qui paroît avec Uranie, dont il est l’éleve. Parthenope s’éloigne, en disant que son Amant doit s’échapper pour l’entretenir. Uranie exhorte Linus à chanter ce que la poésie a de plus grand, comme les exploits d’Apollon, les Titans renversés, la mort du serpent Python. Linus lui répond :

Ce sublime effor m’épouvante :
C’est l’Amant d’Issé que je chante.
URANIE
Ce penchant aux douces erreurs
Annonce déjà la tendresse :
Gardez-vous, gardez-vous sans cesse
Du piege des folles ardeurs,
S’il est des Dieux que l’amour blesse,
C’est un jeu dont ils sont vainqueurs
Sans qu’il en coûte à leur sagesse.

Nous ne croyons pas cette maxime exactement vraie, témoins les folles amours de Jupiter, qui a employé tant d’indécentes métamorphoses pour séduire une foule de mortelles, & pour les ravir à leurs parents ou à leurs maris. Rien n’est moins sage qu’une pareille conduite, les mœurs y sont cruellement blessées, & ce Dieu là seroit aujourd’hui un très malhonnête homme.

La Muse se retire ; la Syrene revient accompagnée de Sylvains & de Driades, & chante sur sa lyre :

Venez tous écouter ma lyre,
Avec elle écoutez mes chants ;
L’amour en forme les accens,
Et c’est le plaisir qu’elle inspire.

Les Faunes & les Driades forment un ballet champêtre au son de la lyre de Parthenope. Linus paroît. Ils terminent leur danse ; & se retirent. Parthenope témoigne à Linus la crainte qu’elle a que les Muses l’emportent sur elle : non, lui répond-il tendrement :

Non, ce n’est qu’à vos loix
Que Linus charmé veut se rendre.
Les trouverois-je ailleurs ces charmes que je vois ?
Cette voix que j’adore, où pourrois l’entendre ?

Parthenope lui replique par ce joli vers :

Ah ! si vous l’écoutez, vous la rendrez plus tendre.

Elle chante :

Lorsque Vénus sortit du sein de l’onde,
Son regard sur la terre enfanta le desir.
L’espoir de tous les cœurs vint bientôt se saisir ;
Et l’amour achevant les délices du monde,
Donna la naissance au plaisir.

Ces paroles sont bien dans la bouche d’une Syrene : voilà son vrai langage.

Parthenope & Linus confirment leurs flammes mutuelles par un duo. Elle veut, pour punir les Muses d’oser condamner l’ardeur que les Syrenes inspirent par leurs chants voluptueux, elle veut qu’Uranie à son tour en éprouve toute l’ivresse. La maligne Syrene à cet effet suspend à un arbre une lyre enchantée, qui pénetre d’amour ceux qui la touchent. Peut-être l’Auteur eût pu faire parvenir cette lyre avec plus d’adresse entre les mains d’Uranie ; mais à l’Opera on est si pressé du temps, que l’expédient le plus court paroît toujours préférable.

Parthenope apperçoit Uranie, & fort avec Linus. La Muse porte ses premiers regards sur la lyre ; en la prenant, elle est surprise que les premiers sons qu’elle en tire soient des sons amoureux :

Douce volupté d’un cœur tendre,
Triomphez de tous les plaisirs.

La crainte d’abord l’arrête, mais elle se rassure en disant :

Ce sont de vains accords qu’emportent les Zéphyrs.

Elle continue, & fait entendre alors cet air enchanteur qui la subjugue & tout le Public avec elle :

La sagesse est de bien aimer,
Et d’aimer toujours sans partage :
On est heureux, si l’on peut s’enflammer ;
Si l’on est constant, on est sage ;
La sagesse, &c.

Linus paroît, & la Muse lui déclare avec la liberté d’une Syrene l’amour qu’elle sent pour lui. Linus de son côté lui avoue avec la même franchise qu’il brûle d’une ardeur aussi tendre, mais qu’une autre est l’objet de sa flamme, & qu’Apollon consent de l’unir avec Parthenope qu’il adore. Le Parnasse tout à coup est éclairé : Apollon suivi des Muses en descend, & rompt l’enchantement qui troubloit la raison d’Uranie, en lui donnant sa lyre à la place de celle qu’elle avoit. Il chante ensuite :

Accourez, Muses & Syrenes,
Venez seconder mes desirs.
Que vos talents unis forment les douces chaînes
Qui menent aux plaisirs.

Terpsichore arrive. Elle donne des leçons de danses aux Faunes qui font des pas réguliers. Ils se mêlent aux Muses & aux Syrenes, ce qui forme un ballet général, & termine l’acte.

La scene de la troisieme entrée est à Théos chez Anacréon. Elle ouvre d’une maniere brillante, & tout à fait dans le caractere du héros & du sujet. L’appartement d’Anacréon est orné pour une fête. On y voit les statues de l’Amour & de Bacchus. Ce Poëte aimable y paroît à table avec plusieurs convives. Lycoris, sa maîtresse, est à la tête d’une troupe de jeunes Esclaves qui leur versent à boire, & qui dansent autour d’eux en les couronnant de fleurs. L’acte commence par ce chœur :

Regne, ô divin Bacchus, enflamme nos esprits !
Que le transport de ton ivresse
A chaque instant renaisse
Avec la tendresse & les ris.
Regne, ô divin Bacchus,&c.

Anacréon adresse ensuite ces jolies paroles à Lycoris dans le moment qu’elle lui verse à boire en dansant autour de lui :

Nouvelle Hébé, charmante Lycoris,
Vole, répands les fleurs qui parent ta jeunesse ;
Verse nous le nectar, fais-le couler sans cesse.
Charmante Lycoris,
Sois dans ce temple heureux l’adorable Prêtresse
De tous les Dieux que je chéris.

Le chant d’Anacréon rend la danse de Lycoris plus vive, & la danse de Lycoris rend à son tour le chant d’Anacréon plus gai. Il exprime sa joie brillante par cet air tendre bachique :

Point de tristesse,
Passons nos jours
Dans les amours
Et dans l’ivresse.
Bûvons sans cesse,
Aimons toujours, &c.

Ces chants sont interrompus par une symphonie bruyante, & la fête est troublée par l’arrivée de la Prêtresse de Bacchus, qui entre accompagnée d’une troupe de femmes inspirées, représentant les Menades, portant des thyrses & des flambeaux. Elles renversent tout, brisent la statue de l’Amour, arrachent Lycoris des bras d’Anacréon, & sortent victorieuses. L’Auteur a fait ici un changement très convenable. Les convives ne se remettent plus à table, ils se retirent tous en même temps que la Prêtresse de Bacchus.

Anacréon reste seul, & son sommeil est l’effet du pouvoir de l’Amour & non de celui du Dieu du vin. A peine est-il endormi qu’il est réveillé par le bruit d’un orage affreux, & par les cris d’un enfant qui se plaint qu’il va périr. Cet enfant est l’Amour. Anacréon attendri court ouvrir à ce Dieu, qui paroît en habit d’Esclave dans un grand désordre ; il lui demande quelle est sa patrie & son maître. Le faux Esclave lui répond qu’il est né à Cythere, & qu’il sert Lycoris. Un ingrat, dit-il,

Un ingrat qu’elle aimoit la quitte avec mépris,
Le courroux s’est emparé d’elle :
J’ai moi-même éprouvé ses transports furieux.
J’ai fui sa disgrace cruelle,
Et mes pas égarés m’ont conduit en ces lieux.
ANACRÉON
Quel est donc cet Amant coupable ?
L’AMOUR
Ah ! de tous les mortels il fut le plus aimable,
Avant ce jour
C’étoit l’Amour
Qui tenoit chez lui son empire.
Les Graces montoient sa lyre ;
Les jeux venoient à l’entour
Danser, folâtrer&rire.
Aujourd’hui la fureur d’un bachique délire
Les a bannis de ce séjour.
ANACRÉON
Le déclin de l’âge
Peut-être l’engage
A quitter leur cour.
On fuit avec moins de peine
Un vieillard comme Silene,
Qu’un enfant comme l’Amour.
L’AMOUR
L’infidele sur ses traces
Guideroit encor les Graces,
Et je sçais que Lycoris
De l’Amant qui l’abandonne
N’auroit pas donné l’automne
Pour le printemps d’Adonis.

Qu’on juge par ce dialogue des graces & du talent de l’Auteur pour ce genre. Anacréon considere alors plus attentivement l’Amour déguisé, & le reconnoît en disant :

Mais vous, que j’observe à mon tour,
Enfant mystérieux, que je cherche à connoître…
Esclave… ah ! vous êtes mon maître,
Et je suis aux pieds de l’Amour.
Rendez-moi Lycoris, je quitte tout pour elle.

On ne pouvoit pas faire un usage plus heureux de l’ode la plus ingénieuse d’Anacréon, pour amener le dénouement de cet acte qui forme un tableau aussi agréable que continu.

Les Graces ramenent Lycoris que l’Amour présente à Anacréon. Les Menades reviennent pour troubler cette union ; mais l’Amour qui se fait connoître arrête leur transport, & les soumet par cet air vainqueur : pouvoit-il manquer son effet ? c’est l’aimable Mlle le Miere qui les chante : c’est l’Amour lui-même :

L’Amour est le Dieu de la paix :
Regne avec moi, Bacchus, partage mes conquêtes.
Je lance par tes mains de plus rapides traits ;
Viens, triomphe, embellis nos fêtes,
Mais ne les trouble jamais.

La statue de l’Amour est rétablie. Les suivans de Bacchus vont porter à ses pieds leurs thyrses & leurs couronnes. La suite de l’Amour va de son côté orner de myrthes & de fleurs la statue de Bacchus. Les chœurs de danse se mêlent ; Lycoris (Mlle Puvigné) préside à la fête. Personne ne pouvoit mieux en faire les honneurs. Les deux chœurs chantent :

Quel bonheur pour nous ! quelle gloire !
Tout s’unit pour nous enflammer.
Bacchus ne défend pas d’aimer,
Et l’Amour nous permet de boire.

Ce chœur, suivi de la contredanse, termine cette entrée qui a réussi avec justice, & qui auroit pris encore davantage dans un temps où Bacchus avoit plus de partisans, & où l’on ne mettoit point d’eau dans son vin. »