Correspondence

LETTRE DE RAMEAU À RÉMOND DE SAINTE-ALBINE - Mai ou juin 1749

LETTRE DE RAMEAU À RÉMOND DE SAINTE-ALBINE

Mai ou juin 1749

Je ne puis me dispenser, Monsieur, de relever un fait avancé dans le Journal des Savants du mois dernier, sur mon opéra de Platée.

Il y est dit, à propos des Poèmes Lyri-comiques du feu sieur Hautreau, que des cinq Poèmes de ce genre de cet Auteur, il n’y a eu que Platée qui ait paru sur le Théâtre, et qu’il n’a pas réussi, quoique mis en musique par, etc.

Je passe sous silence l’éloge que ces Messieurs ont bien voulu faire néanmoins de mes talents, et je leur en suis toujours bien obligé ; mais je vous avoue qu’un peu plus d’exactitude m’aurait flatté davantage.

Je ne crois pas qu’il y ait eu au Théâtre de succès plus marqué que celui de Platée.

Les sept premières représentations données dans l’espace de dix jours, et que l’on pourrait équitablement réduire à six, vu qu’il fut joué le Jeudi, jour du Feu de l’Hôtel de Ville, et les trois derniers jours gras consécutivement, ont produit 19672 liv. 10 sols.

Les six représentations qui ont été données ensuite dans le Carême, uniquement pour satisfaire à l’empressement du Public, l’intention n’ayant été d’abord que de le donner en carnaval, ont produit 11892 liv. ce qui fait près de 32000 liv. en treize représentations.

Cela joint à la comparaison des dernières représentations de ce Ballet, donné les Mardis et les Jeudis, avec les premières d’un ouvrage d’un autre genre, que l’on donnait les Vendredis et les Dimanches, sont des preuves écrites que je ne me serais jamais cru dans la nécessité d’opposer, tant la chose est notoire : aussi n’est-ce point pour rectifier cet Ecrivain auprès des personnes qui habitent Paris, que je vous supplie, Monsieur, d’insérer ma lettre dans le Mercure mais bien pour les Provinces, qui ne peuvent être instruites de beaucoup de faits que par les Journaux, et que l’on devrait par conséquent avoir plus d’attention à ne pas induire en erreur. D’ailleurs je suis trop jaloux des succès que le Public daigne accorder à mes ouvrages, pour souffrir qu’on cherche à en diminuer le nombre.

Pénétré de la plus vive et de la plus sincère reconnaissance des nouvelles marques qu’il vient de me donner encore de sa bonté, à l’occasion de mon Opéra de la Paix, j’ose vous assurer que je ne me sens que plus encouragé à mériter la continuation d’une faveur qui a été et qui sera toujours l’objet de tous mes vœux, et que je ne désirerais rien tant que d’être plus à portée de lui procurer encore plus de plaisirs, et de pouvoir à mon gré pousser aussi loin que j’en puisse être capable, un art qui a fait seul l’occupation de toute ma vie.

J’ai l’honneur d’être, etc.