Mercure de France
Mercure de France, novembre 1751, p. 133
Mercure de France, novembre 1751, p. 133
« Les Génies Tutelaires sont suivis de l’Acte des Sauvages. Nous ne parlerons pas d’un ouvrage si connu, pour nous arrêter sur un qui mérite bien de l’être, c’est la Guirlande. Le Poëme est de M. Marmontel, Auteur de plusieurs Tragédies, qui ont eu le plus grand succès : l’idée en a paru neuve & charmante ; dans la crainte de la défigurer en la mettant en prose, nous copierons tous les vers nécessaires pour former une action suivie.
MIRTIL seul, tenant à la main une guirlande, dont les fleurs sont fanées.
Peut-on être à la fois
Si tendre, & si volage ?
Zélide avoit fixé mon choix :
Non moins aimé qu'amant, je partis de ce bois ;
Amarillis paroît, me sourit & m'engage :
Peut-on être à la fois,
Si tendre & si volage ?
Je reviens, je reprends mon premier esclavage :
Mais j'ai perdu mes premiers droits.
Malheureux ! qu'ai-je fait ? Peut-on être à la fois,
Si tendre & si volage ?
Il regarde sa guirlande.
Vous allez donc déposer contre moi,
Fleurs, qu'un charme secret devoit rendre immortelles
Dans les mains des amans fidéles !
Votre éclat s'est terni, quand j'ai manqué de foi.
Ranimez-vous avec ma flamme ;
Brillez aux yeux qui m'ont charmé.
J'aime encor plus que je n'aimai,
Soyez l'image de mon ame.
Ranimez-vous avec ma flâme,
Brillez aux yeux qui m'ont charmé.
Il s'adresse à l'Amour.
Toi qui vis mon amour, toi qui vois mon retour,
Préviens le désespoir où tu vas me réduire.
Ce charme est ton ouvrage, Amour ! puissant Amour !
C'est à toi seul de le détruire.
Il pose sa guirlande sur l'Autel de l’amour.
Je remets ma guirlande au pied de ton Autel.
ZÉLIDE, seule
Amour, que Mirtil pense à moi,
Etque tout le reste m'oublie,
Qui peut suspendre son retour ?
Ceux, dont il a reçu le jour,
Auroient-ils refusé de couronner sa flamme ?...
Seroit-il retenu par un nouvel amour ?
Cher amant ! viens calmer le trouble de mon ame.
Qui peut suspendre son retour ?
Tout languit dans nos bois, quand l'hyver les ravage.
Mais lorsque le Zéphir commence à soupirer,
Le rossignol s'éveille, il réprend son ramage ;
L'absence est l'hyver des amours :
Le retour d'un amant est celui des beaux jours.
Tout languit dans nos bois, quand l'hyver les ravage :
Mais lorsque le Zéphir commence à soupirer,
Tout renaît, tout fleurit, tout semble respirer.
Le rossignol s'éveille, il réprend son ramage.
De mon bonheur, amour, hâte l'instant,
Rends moi Mirtil, & me le rends fidéle.
Ces fleurs, gage d'un feu constant,
Font briller dans mes mains leur fraîcheur naturelle :
Mirtil, ta guirlande aura-t’elle
Ces parfums, ces couleurs, cet émail éclatant ?
Elle apperçoit la guirlande que Mirtil a posée sur l'Autel de l’amour.
Mais quel objet frappe ma vûe !
Me trompai-je ? Approchons. Que mon ame est émue !
Elle s’approche de l'Autel.
Hélas ! il est trop vrai, je reconnois ces fleurs ;
Nos chiffres enlassés....Ah ! Mirtil !... je me meurs.
Elle tombe sur l'Autel, puis revenant à elle.
Oublions un amant perfide,
Méprisons qui peut nous trahir.
Le mépriser ! hélas ! trop sensible Zelide !
Tu ne peux même le hair.
Au pied de cet Autel il a mis sa guirlande :
Pour ranimer ces fleurs il imploroit l'Amour ;
Usons pour le prouver d'un innocent détour.
Elle met sa guirlande à la place de celle de Mirtil.
Il croira que l'Amour a rempli sa demande.
Elle apperçoit Mirtil.
II paroît, cachons-nous sous cet ombrage épais.
MIRTIL, seul dans l'abbattement.
Dans ma cruelle incertitude,
Mon cœur ne peut trouver la paix,
Et chaque instant ajoute à mon inquiétude.
Il apperçoit au pied de l'Autel la guirlande dont l'éclat lui paroît ranimé.
Que vois-je ! ô Ciel ! Amour ! ô prodige ! ô faveur !
Il s'approche de l'Autel.
Quels parfums ! quel éclat ! ces fleurs semblent renaître.
Ah ! que mon cœur va reconnoître
Un bienfait qui m'éleve au comble du bonheur.
Il hésite à prendre la guirlande.
Je n'ose sur ces fleurs porter ma main tremblante,
Je crains de les ternir encor.
Amour, sur ton Autel conserve ce trésor.
C'est à toi d'éblouir les yeux de ton amante.
Ne crains pas que mon cœur sous ses loix enchaîné
Suive jamais une pente nouvelle.
Que je vais bien aimer ! que je serai fidéle !
Pour la derniere fois tu m'auras pardonné.
Zelide, ton amant, cesse enfin de te craindre ;
Viens consulter ces fleurs, viens lire dans mes yeux.
Ces fleurs vont te tromper, mes yeux ne peuvent feindre ;
Ils diront que je t'aime, & mon cœur le sent mieux,
Que mes yeux ne peuvent le peindre.
Il apperçoit Zelide.
Elle vient, c'est l'Amour qui l'amene en ces lieux.
MIRTIL, ZELIDE.
MIRTIL
Je vous revois, belle Zelide !
Que mon cœur eût voulu hâter ce doux moment !
Que le tems qu'avec vous je trouvois si rapide,
Loin de vous coule lentement !
Je vous revois encor plus belle,
Je reviens encor plus tendre…
ZELIDE, ironiquement.
Et plus fidéle !
MIRTIL
Quel soupçon vient vous allarmer ?
Vous offensez mon cœur, & l'Amour & vous-même !
Peut-on vous voir, sans vous aimer ?
Peut-on changer quand on vous aime ?
ZELIDE
Souvent pour séduire un cœur
Il suffit d'un doux sourire.
On rougit, l'Amour soupire,
Mais le desir est vainqueur.
MIRTIL
Telle est l'inconstance legére,
Du Zéphir volage & sans foi :
Mais le Zéphir lui-même aimé de ma bergere.
Seroit aussi constant que moi.
ZELIDE
Aussi constant que vous ?
MIRTIL
Vous connoissez mon ame.
ZELIDE
L'absence est l'écueil de l'amour.
MIRTIL
Dans vos tendres adieux rien n'égaloit ma flame ;
Elle est cent fois encor plus vive à mon retour.
Tout inspire à mon cœur une volupté pure :
Les concerts des oiseaux me semblent plus touchans :
Je crois voir mon bonheur exprimé dans leurs chants.
Cette onde en jaillissant fait un plus doux murmure.
L'ombre a plus de fraîcheur, l'herbe a plus de verdure ;
Le parfum de ces fleurs m'invite à les cueillir.
Avec vous à mes yeux tout semble s'embellir,
Et le charme s'étend sur toute la nature.
ZELIDE
Mais de votre fidélité
Je ne vois point encor le gage.
Mirtil, montrant avec empressement la guirlande qui est sur l'Autel.
Le voici. De ces fleurs l'éclatante beauté
Vous laisse-t’elle quelque ombrage ?
ZELIDE
Je suis contente.
MIRTIL
Et vous ? un pareil témoignage
Importe à ma tranquillité.
Zelide feint d'être embarassée.
Zelide, vous baissez la vûe !
Parlez. Où sont ces fleurs ? vous me faites trembler.
Vous soupirez ! ô Ciel ! quelle atteinte imprévue !
Non, je ne puis vous croire, & c'est pour me troubler…
Zelide n'est point infidélle.
Son cœur n'aima jamais que moi.
ZELIDE
Si vous êtes sûr de ma foi ;
Pourquoi m'en demander une preuve nouvelle ?
MIRTIL
Pourquoi la refuser ?
ZELIDE
Ah, Mirtil ! je le voi !
Vous doutez de mon cœur.
MIRTIL
Vous m'y forcez, cruelle.
ZELIDE
Eh bien, s'il vous avoit trahi,
S’il s'en faisoit lui même un sensible reproche,
Et si confus à votre approche,
Il demandoit encor de n'être point hai....
MIRTIL
Vous ? me trahir ! ô Ciel ! moi, l'amant le plus tendre !
ZELIDE
Il le faut avouer : un caprice leger
Avec plaisir, m'a fait entendre
Les soupirs d'un autre berger.
MIRTIL
Quoi, Zelide, ton cœur n'a pas sçu s'en défendre !
ZELIDE
Je vous l'ai dit, l'absence expose à ce danger ;
A vos ressentiments Zelide s'abandonne,
Mirtil, vous pouvez vous vanger.
MIRTIL
Non, si ton crime est passager,
Aimons-nous, Mirtil te pardonne.
ZELIDE
C'est toi, que tu viens de juger.
MIRTIL
Qui ? moi !
ZELIDE
Voici tes fleurs...* quelles couleurs nouvelles !
* Elle va prendre la guirlande de Mirtil, qu’elle a cachée parmi les arbres de l'un des côtés du Théatre, elle la trouve refleurie.
MIRTIL
C'est l'Amour qui les rajeunit.
ENSEMBLE
Dieu puissant, dans nos mains rends ces fleurs immortelles.
Rends sans cesse nouveau comme elles,
Le nœud charmant qui nous unit.
On a trouvé dans cet ouvrage, mis en Musique par le célébre M. Rameau, un récitatif très-bien déclamé, un chant varié & agréable, que Mlle Fel & M. Jeliote ont encore embelli par les graces & la legéreté de leur voix. On a beaucoup applaudi la Pantomime noble, les deux tambourins, la contredanse, & un pas de six, exécuté supérieurement par Mrs Vestris, Beat & Lany, & par Mlles Vestris, Puvigné & Lany. »