Mercure de France

Mercure de France, mars 1736, p. 534

Mercure de France, mars 1736, p. 534

« LE Samedi 10. de ce mois, l’Académie Royale de Musique remit au Théatre pour la Capitation des Acteurs et avec un concours prodigieux, le Ballet des Indes Galantes ; on y a ajoûté une nouvelle Entrée, intitulée, les Sauvages. Les Paroles sont de M. Fuzillier et la Musique de M. Rameau.Cette nouvelle Entrée, à la suite des trois premieres, est generalement aplaudie. La Scene est en Amerique. Le Théatre y représente un Bosquet, voisin des Colonies Françoises et Espagnoles, où doit se celebrer la ceremonie du grand Calumet de la Paix.

Adario, Commandant des Guerriers de la Nation Sauvage, amoureux de Zima, craint qu’elle ne se laisse attendrir par Damon ou par Don Alvar, Officiers des Colonies Françoises et Espagnoles ; et les apercevant, il s’exprime ainsi.

Rivaux de mes Exploits, Rivaux de mes amours,
Helas ! dois-je toujours
Vous ceder la victoire ?
Ne paroissez vous dans nos Bois
Que pour triompher à la fois
De ma tendresse et de ma gloire ?

Dans la seconde Scene, Alvar se promet de triompher du cœur de Zima par sa constance.Damonrépond à ses reproches sur la legereté françoise par ces Vers :

Un cœur qui change chaque jour,
Chaque jour fait pour lui (l’Amour) des conquêtes nouvelles ;
Les fideles Amans font la gloire des Belles,
Et les Amans legers font celle de l’Amour.

Zima,fille du Chef de la Nation Sauvage, paroît. Elle s’exprime ainsi à ces deux Amans.

Nous suivons sur nos bords l’innocente Nature ;
Et nous n’aimons que d’un amour sans art.
Notre bouche et nos yeux ignorent l’imposture.
Sous cette riante verdure,
S’il éclate un soupir, s’il échape un regard,
C’est du cœur qu’il part.

A cela l’Espagnol fait valoir sa constance, et le François ajoûte, après bien d’autres raisons, que l’inconstance n’est pas un crime, à quoi Zima répond.

Non, mais vous oubliez, ou vous ne sçavez pas
Dans quel temps l’inconstance est pour nous légitime.
Le cœur change à son gré dans cet heureux séjour ;
Parmi nos Amans c’est l’usage
De ne pas contraindre l’Amour :
Mais dès que l’Hymen nous engage,
Le cœur ne change plus dans cet heureux séjour.

La Scene finit par la décision de Zima qui dit à l’Espagnol et au François, vous aimés trop, et vous, vous n’aimés pas assés. Ce qui sert de réponse à leurs instances.

Dans la quatriéme Scene, Zima se déclare en faveur d’Adario, et lui donne la main. Cette Entrée est terminée par une Fête très-brillante.

Ce Ballet fut réprésenté encore le Samedi 17. pour la Clôture du Théatre, au profit des Acteurs. La Dlle. Sallé y dansa sur un air intitulé les Caprices de l’Amour, et elle fut très aplaudie. Elle avoit déjà dansé cette Entrée sur le Théatre de Londres. »