Mercure de France

Mercure de France, mai 1746, p. 142

Mercure de France, mai 1746, p. 142

« L’Académie Royale de Musique a continué les réprésentations du Temple de la Gloire, & l’on a continué d’y admirer un grand nombre de symphonies dignes de l’inimitable auteur de la Musique. Nous avons promis de rendre compte des changemens faits au premier acte ; ils ne regardent la Musique qu’autant que les paroles sont changées, car à l’égard des divertissemens, ils sont à fort peu de chose près les mêmes, & il auroit été difficile que l’on n’eut pas perdu en changeant d’avantage ; il n’est rien de plus agréable que la musette qui forme ensuite un chœur, les deux gavottes en forme de tambourins & les deux menuets. A l’égard des paroles, M. de Voltaire ne fait plus paroître les Muses, & ne les fait plus braver par Belus ; ce double spectacle étoit d’une exécution trop compliquée pour être bien rendu. Belus étonné d’avoir vû le Temple de la Gloire se fermer devant lui, se trouve au milieu des bergers qui dans leurs chants célébrent l’humanité, la bienfaisance, la constance ; Belus s’attendrit par degres & Lydie qui paroît à la fin acheve d’adoucir la férocité de ce conquérant injuste.

L’entrée de Belus sur le théatre est d’une grande beauté, & l’on peut sans risquer d’en trop dire, avancer qu’elle est digne de l’illustre auteur de ce Poëme. Belus paroît dans le lointain entouré de ses guerriers, aux portes du Temple, au milieu des foudres & des éclairs ; il s’avance dans le bocage des Muses.

Où suis-je ? qu’ai-je vû ? non, je ne le puis croire ;
Ce Temple qui m’est dû, ce séjour de la Gloire
S’est fermé devant moi.
Mes soldats ont fremi d’effroi.
La foudre a devoré les dépouilles sanglantes.
Que j’allois consacrer à Mars ;
Elle a brisé les étendars
Dans mes mains triomphantes.

Le bruit du tonnerre recommence.

Dieux implacables Dieux jaloux,
Qu’ai-je donc fait qui vous outrage ?
J’ai fait trembler l’Univers sous mes coups,
J’ai mis des Rois à mes genoux,
Et leurs sujets dans l’esclavage ;
Je me suis vengé comme vous ;
Que demandez vous davantage.

Nous aurions souhaité que parmi les changemens faits en petit nombre à l’acte de Trajan on n’eut point fait chanter à ce Prince un ramage d’oiseaux ; c’est pousser trop loin le privilége qu’a la musique de ne pas toujours s’accorder avec les convenances ; elle peut les esquiver, mais non les heurter de front, & l’on ne peut disconvenir que la plaisanterie qui a fait dire que désormais on appelleroit Trajan, Trajan l’Oiseleur, ne soit meritée. »