Mémoires secrets (Bachaumont)

Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des Lettres en France, Tome 19, Additions 1768-1781, p. 198

Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des Lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours, ou Journal d’un observateur, Tome 19, Additions 1768-1781, p. 198).

« On a réservé pour la fin, comme le plus agréable & le plus intéressant sans contredit, l’acte de la danse,tiré des talents lyriques, musique de Rameau, paroles de Montdorge. Le sieur le Gros, plus complaisant pour le public que les autres grands acteurs ses confrères, a eu la bonne volonté de remplir le rôle de Mercure, qu’il a chanté assez bien, mais qu’il n’a ni joué ni senti. La demoiselle Rosalie a reparu pour la troisième fois dans un rôle de bergère, & Mlle. Guimard a fait celui d’Églé, personnage d’autant plus difficile à bien rendre, qu’il faut joindre le chant à la danse : Mlle. Guimard a le dernier talent à un grand degré de perfection ; elle a pourtant trop de minauderie pour ce genre simple & champêtre, & manière trop ses pas ; quant au chant, elle n’a qu’un filet de voix rauque : malgré ce désagrément, elle a été reçue avec beaucoup d’indulgence de la part des spectateurs ; mais elle déparoit absolument la scène. Un certain Bureau a fait le rôle de berger, & a joué du hautbois. On a vu avec déplaisir dans les ballets le personnage de Terpsicore rendu par Mlle. Peslin, très-bonne pour les tours de force, les sauts vigoureux, mais qui n’a ni les grâces ni la sensibilité nécessaires en cette occasion, dont la figure d’ailleurs ignoble, la taille hommasse & lourde, ne peuvent caractériser les agréments & la majesté de la muse de la danse.
On voit par ces détails, que Mlle Rosalie a payé de sa personne pour ses camarades : le public ne peut que lui savoir gré de son zèle ; elle a très-bien rendu les divers rôles dont elle étoit chargée ; elle acquiert de jour en jour plus de droit sur notre reconnoissance. Cette actrice précieuse plaît d’autant plus, qu’elle n’est ni insolente, ni capricieuse comme les autres, & qu’elle joint à la meilleure volonté des talents décidés. » 
[1770]