LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
Description générale
Représentations
Livret
Réception
Compositeur : RAMEAU, Jean-Philippe (1683-1764)
Auteurs du texte : BERNARD, Pierre-Joseph (1708-1775) ("L'Enlèvement d'Adonis", "La Lyre enchantée" et "Anacréon") et MARMONTEL, Jean-François (1723-1799) ("Les Sybarites").
Création : 31 mai 1757 - Académie royale de musique (Paris)
Genre : Ballet héroïque (Prologue et 3 actes)
Catalogue : RCT 58B
Synopsis :
I – L’Enlèvement d’Adonis. L’Amour paraît dans les bois où règne Diane pour y chercher Adonis, dont est éprise sa mère Vénus. Il se cache à l’approche du jeune homme et constate, à ses plaintes, que l’ennui l’accable. Prenant d’autres traits, le dieu feint de s’être égaré et demande à Adonis s’il n’aurait pas vu l’Amour. Celui-ci s’émeut au nom de ce dieu, qu’on lui a toujours peint comme monstrueux. L’Amour tente de le faire changer d’avis, et finit par se présenter sous son vrai visage. Il parle en faveur de Vénus qui descend bientôt des cieux. Adonis est séduit : restés seuls, tous deux échangent des serments d’amour. Mais des sonneries de chasse annoncent l’arrivée de Diane. Tous se retirent tandis qu’une troupe de Chasseurs et de Nymphes paraît. Diane entre à son tour et se plaint amèrement qu’on lui enlève Adonis. Mercure descend du ciel pour compatir à son tourment, et annoncer l’arrivée de Vénus. Le nuage de Vénus couvre alors les cieux : la déesse y trône, ayant devant elle l’Amour et Adonis, déguisé sous les mêmes traits et portant les mêmes attributs que son fils. Elle les présente tous deux à Diane, en lui disant de choisir si elle l’ose. Diane, craignant que son choix ne tombe sur l’ennemi qui l’offense, sort indignée. Vénus triomphe ; le théâtre change à la voix de l’Amour et représente les jardins d’Amathonte ornés de berceaux et de portiques dorés. L’Amour défie Diane en faisant apparaître Endymion endormi que la déesse contemple et dont elle s’éprend aussitôt. Une fête des plus galantes célèbre l’heureux dénouement.
II – La Lyre enchantée. Au pied du Mont Parnasse, la sirène Parthénope chante son amour pour Linus, le vainqueur auquel elle a cédé. Celui-ci paraît avec la muse Uranie, dont il est l’élève. Parthénope s’éloigne. Uranie exhorte Linus à chanter les plus célèbres sujets de la poésie lyrique, avant de se retirer. La sirène revient suivie de Sylvains et de Dryades. Elle chante sur sa lyre, tandis que sa suite exécute un ballet de toute beauté. Elle avoue à son amant la crainte qu’elle a de se voir détrônée par les Muses. Linus la rassure ; tous deux chantent l’ardeur de leur flamme mutuelle. Mais Parthénope entend charmer aussi sa rivale : pour qu’Uranie éprouve toute l’ivresse du chant des sirènes, elle suspend à un arbre une lyre enchantée qui pénètre d’amour ceux qui en jouent. Elle se retire avec Linus tandis que la muse approche. Dès qu’elle aperçoit l’objet, Uranie s’en empare : à sa grande surprise, elle en tire des sons enchanteurs. La crainte l’arrête d’abord, mais, plus elle joue, plus elle est gagnée par l’ivresse d’harmonies jusqu’alors inconnues. Linus l’interrompt : la Muse lui déclare avec la franchise d’une Sirène l’amour qu’elle ressent pour lui. Linus lui avoue tout aussi spontanément qu’il brûle d’une ardeur aussi tendre, mais qu’une autre est l’objet de sa flamme. Apollon même a consenti à l’unir avec Parthénope. Le Parnasse s’illumine tout à coup : le dieu, suivi des Muses, en descend et rompt l’enchantement qui troublait la raison d’Uranie. Pour célébrer le nouvel hymen, Terpsichore paraît à son tour et ordonne un ballet général où se mêlent, dans la plus grande harmonie, les Faunes, les Muses et les Sirènes.
III (1) – Anacréon. Anacréon, épris de Lycoris, est partagé entre le culte de Bacchus et les tentations de l’Amour. Jalouse de ce dernier, la Prêtresse de Bacchus paraît avec sa suite et entend détruire les autels de l’Amour. Bacchantes et esclaves d’Anacréon bataillent, mais Bacchus est victorieux malgré les protestations du poète. Anacréon, dépité, finit par s’endormir, mais il est soudainement réveillé par un orage. La plainte d’un enfant se fait entendre : il prétend être au service de la nymphe Lycoris, ravagée par le chagrin que lui cause son amant dévoué au seul culte de Bacchus. Anacréon comprend son erreur et suit l’enfant pour aider Lycoris. Tandis que la Prêtresse et les Bacchantes contemplent l’autel de l’amour en ruines, elles découvrent Lycoris et Anacréon enlacés. L’Amour l’emporte mais accepte de partager sa victoire avec Bacchus.
III (2) – Les Sybarites. Les Sybarites vivent heureux, uniquement soumis à la loi du plaisir. Ils rendent hommage à leur reine, Hersilide, par des danses et les chants qui sont interrompus par un bruit de guerre : ce sont les Crotoniates qui envahissent la cité. Le peuple veut fuir, mais la reine le retient et lui demande de tresser des couronnes de fleurs pour accueillir les assaillants, persuadée que la paix et les plaisirs doivent toujours triompher, même des cœurs les plus inflexibles. Tandis que les Sybarites vont au-devant des Crotoniates, Hersilide invoque l’Amour et lui demande assistance. Les vainqueurs paraissent avec, à leur tête, leur général Astole. Ses discours belliqueux et le mépris qu’il a pour les présents que lui offrent les Sybarites s’évanouissent alors qu’il aperçoit Hersilide, aussi belle que majestueuse. Subjugué par tant de charmes, il accepte d’être spectateur des jeux que la reine fait donner en son honneur. Astole déclare bientôt toute l’ardeur d’une nouvelle flamme : leur union scelle la paix entre les deux peuples.
[Benoit Dratwicki]
Parodie(s) :
François-Antoine Chevrier et Pierre-Augustin Lefèvre de Marcouville, La Petite Maison parodie de l’entrée Anacréon
Création : Comédie-Italienne, 30 juin 1757
Localisation : Supplément aux Parodies du Théâtre-Italien, Paris, 1765, t. II
Voir sur Theaville
Jean-Nicolas Guérin de Frémicourt, Harny de Guerville et Maire-Justine Favart, Les Ensorcelés ou Jeannot et Jeannette ou La Nouvelle Surprise de l’Amour
Création : Comédie-Italienne, 1er septembre 1757
Localisation : Théâtre de M. Favart, Paris : Duchesne, 1763, t. IV
Voir sur Theaville
Michel-Jean Sedaine, Anacréon parodie de l’entrée Anacréon
Création : Comédie-Italienne, 13 décembre 1758
Localisation : M.-J. Sedaine, Recueil de poésie, Paris : Duchesne, 1760, t. II
Voir sur Theaville
[Pauline Beaucé et Françoise Rubellin]
1757/5/31 - Académie royale de musique - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
DAVAUX, Mlle (1753-1760 ca fl.) [Vénus]
LEMIÈRE, Marie-Jeanne (1733-1786) [Amour, l']
DUBOIS L'aînée (1752-1770 fl.) [Adonis]
JACQUET [Diane]
DAVAUX, Mlle (1753-1760 ca fl.) [Prêtresse de Bacchus]
GODART, Mr (1757 ca- fl.) [Mercure]
POIRIER, François (-1759) [Agathocle]
MUGUET, Mr (1757-1780 ca fl.) [Euricles]
POUSSINT, Mr (1757 ca- fl.) [Convive]
ROBIN (1751-1770 ca fl.) [Convive]
1757/7/12 - Académie royale de musique - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
CHEVALIER, Marie-Jeanne (1722-1789 ap.) [Hersilide]
LARRIVÉE, Henry [Astole]
RIVIÈRE [chanteuse] (1756-1780 ca fl.) [Philoé]
POIRIER, François (-1759) [Agis]
PÉPIN, Mr (1757- fl.) [Crotoniate]
1758/10/10 - Académie royale de musique - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
CHEVALIER, Marie-Jeanne (1722-1789 ap.) [Uranie]
FEL, Marie (1713-1794) [Parthénope]
LARRIVÉE, Henry [Apollon]
LOMBARD, Mr (1750 ca-1760 ca) [Linus]
1769/8/8 - Académie royale de musique - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
LEVASSEUR, Rosalie [Amour, l']
LARRIVÉE, Henry [Anacréon]
DURANCY, Madeleine-Céleste (1746-1780) [Prêtresse de Bacchus]
MUGUET, Mr (1757-1780 ca fl.) [Agathocle]
CAVALLIER, Mr [Euricles]
1781/12/5 - Petit château (BRUNOY) - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
AUDINOT, Josèphe - Eulalie (1785) [Amour, l']
LAÏS, François (1781 ca- fl.) [Anacréon]
SAINT-HUBERTY, Antoinette-Cécile (1756-1812) [Prêtresse de Bacchus]
1985/10/3 - Opéra royal (Versailles) (Château) - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
VISSE, Dominique [Agathocle]
CANTOR, Philippe [Anacréon]
MELLON, Agnès [Amour, l']
FELDMAN, Jill [Prêtresse de Bacchus]
1985/10/3 - Opéra royal (Versailles) (Château) - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
VISSE, Dominique [Agathocle]
CANTOR, Philippe [Anacréon]
MELLON, Agnès [Amour, l']
FELDMAN, Jill [Prêtresse de Bacchus]
LES ARTS FLORISSANTS
1985/10/4 - Opéra royal (Versailles) (Château) - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
VISSE, Dominique [Agathocle]
GARDEIL, Jean-François [Anacréon]
Mc FADDEN, Claron [Amour, l']
STEYER, Arlette [Prêtresse de Bacchus]
LES ARTS FLORISSANTS
1985/4/0 - - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
VISSE, Dominique [Agathocle]
GARDEIL, Jean-François [Anacréon]
Mc FADDEN, Claron [Amour, l']
STEYER, Arlette [Prêtresse de Bacchus]
LES ARTS FLORISSANTS
1986/2/22 - Opéra (MONTPELLIER) - LES SURPRISES DE L'AMOUR (Version de 1757)
VISSE, Dominique [Agathocle]
GARDEIL, Jean-François [Anacréon]
Mc FADDEN, Claron [Amour, l']
STEYER, Arlette [Prêtresse de Bacchus]
LES ARTS FLORISSANTS
Mercure de France
Mercure de France, août 1757, p. 187
« Voici l’Extrait des Surprises de l’Amour, que l’Académie Royale de Musique continue à représenter.
L’enlévement d’Adonis est le sujet de la premiere entrée. La scene est dans le bois de Diane. L’Amour ouvre cet acte en disant :
Pour surprendre Adonis, j’abandonne les Cieux ;
C’est l’Amour qui le suit, c’est Vénus qui l’adore :
Diane trop long-longtemps le dérobe à nos yeux.
C’est ici chaque jour qu’il devance l’aurore :
Et je viens plus touché de l’emploi glorieux
D’instruire un jeune cœur des secrets qu’il ignore,
Que de régner sur tous les Dieux.
L’heureuse exposition ! on ne peut pas en faire une plus claire, plus précise. Nous osons la donner pour modele. Adonis paroît. L’Amour s’éloigne un moment pour l’observer. Adonis se plaint du trouble de son cœur, où les desirs commencent à naître. La chasse & les forêts n’ont plus de charmes pour lui. L’Amour reparoît sans armes ; & feignant de s’être égaré, demande à Adonis s’il n’auroit point vu l’Amour. Adonis témoigne la crainte, & presque l’horreur qu’il a de ce Dieu qu’on lui a peint comme un monstre dangereux. Le fils de Venus lui repond :
Hélas ! peut-on le craindre ? il est fait comme vous.
Dans un âge si tendre ; avec des traits si doux,
Le Dieu qui fait aimer, le Dieu qui rend aimable,
Est-il un monstre redoutable ?
Cette scene est si bien dialoguée, que nous la mettrions ici toute entiere, si nous ne l’avions déjà transcrite en partie dans le premier volume de Juin. Nous nous bornerons donc à dire que l’Amour se fait connoître aux yeux d’Adonis, & qu’il lui parle en faveur de Vénus, sa mere. Adonis s’écrie :
Au trouble de mon ame, au charme de sa voix,
Pouvois-je, ô Ciel ! le méconnoître ?
Une symphonie agréable annonce l’arrivée de Vénus. Les Graces la devancent. Elles environnent Adonis, qui ne sçait d’abord à laquelle il doit donner la préférence. Vénus paroît, & fixe son choix. La Déesse reste seule avec lui, & lui demande :
S’il étoit un autre séjour
Où la voix du plaisir se feroit seule entendre,
Où toujours adoré, vous seriez toujours tendre…
Quitteriez-vous ces lieux pour un séjour si doux ?
Parlez !
Adonis lui répond par ces mots heureux :
Déesse, y seriez-vous ?
VÉNUS
Oui, charmant Adonis, j’y serois pour vous plaire ;
Pour jouir d’un bonheur qui fixe tous mes vœux,
Pour y brûler de tous les feux
Qu’amour peut allumer dans le sein de sa mere.
Fuyez une loi trop sévere,
Je garde un sort plus doux au plus beau des mortels :
Venez partager à Cythere,
Et ma tendresse, & mes Autels.
ADONIS jettant son javelot.
Ah ! je vous suis partout : c’est l’Amour qui l’ordonne :
Eh ! qui pourroit lui résister ?...
La scene finit par un duo, qui est interrompu par un bruit de chasse. L’Amour rentre tout effrayé, en disant :
Diane, assemble ici sa cour ;
Fuyons, sortons de ce séjour,
Et cherchons dans les airs une route nouvelle.
L’Amour, Vénus & Adonis sortent ensemble : des Chasseurs & des Nymphes entrent en dansant, & forment un divertissement qui est bientôt troublé par l’arrivée de Diane, qui se plaint qu’on vient d’enlever Adonis, & de le soustraire à ses loix. L’Amour, s’écrie-t’elle :
L’Amour a-t’il séduit sa crédule innocence ?
Cruel, je reconnois tes coups :
Courons, courons à la vengeance ;
Volons sur ses pas, armons-nous.
Mercure descend du ciel, & dit à Diane, qu’Adonis va paroître à ses yeux ; mais qu’elle craigne de se laisser surprendre. Vénus paroît en même temps sur un nuage, ayant devant elle l’Amour & Adonis, déguisé sous les mêmes traits & avec les mêmes attributs. Elle les présente tous deux à Diane, en lui disant de choisir si elle l’ose ; Diane qui craint que son choix ne tombe sur l’ennemi qui l’offense, sort indignée, après avoir répondu fièrement à Vénus :
Garde un ingrat que je te livre :
Dès qu’il a pu te suivre,
Il n’est plus digne que de toi.
Vénus triomphe, & le théâtre change à la voix de l’Amour. On voit les jardins d’Amathonte ornés de berceaux & de portiques dorés. Cette décoration est des plus galantes & des mieux caractérisées. Cette entrée est heureusement terminée par le ballet de Diane & Endimion. Il est très bien lié au sujet, & annoncé d’une manière aussi naturelle qu’ingénieuse, par ces paroles de l’Amour adressées à Adonis.
Diane, que tu crois si fiere&si sauvage,
N’a pas toujours gardé son cœur,
Et je veux que ces jeux te retracent l’image
Du Berger qui fut son vainqueur.
Nous ne nous étendrons pas davantage sur ce divertissement, dont nous avons loué avec justice l’idée, l’exécution & la musique.
La seconde entrée (la Lyre enchantée) est moins riante que la premiere ; mais elle est embellie par des détails qui doivent rendre indulgent pour le fonds & pour l’ensemble. Le Théâtre représente un vallon champêtre au pied du Mont Parnasse, dont on voit les deux côteaux couverts de palmiers, avec des trophées qui caractérisent les Muses & les Arts. La Syrene Parthenope commence l’acte par ces vers :
Charme de mon vainqueur, doux accent de ma voix,
Formez avec mes yeux un si tendre langage,
Qu’il puisse écouter mille fois,
Et mes sermens,&mon hommage, &c.
Ce vainqueur est Linus, qui paroît avec Uranie, dont il est l’éleve. Parthenope s’éloigne, en disant que son Amant doit s’échapper pour l’entretenir. Uranie exhorte Linus à chanter ce que la poésie a de plus grand, comme les exploits d’Apollon, les Titans renversés, la mort du serpent Python. Linus lui répond :
Ce sublime effor m’épouvante :
C’est l’Amant d’Issé que je chante.
URANIE
Ce penchant aux douces erreurs
Annonce déjà la tendresse :
Gardez-vous, gardez-vous sans cesse
Du piege des folles ardeurs,
S’il est des Dieux que l’amour blesse,
C’est un jeu dont ils sont vainqueurs
Sans qu’il en coûte à leur sagesse.
Nous ne croyons pas cette maxime exactement vraie, témoins les folles amours de Jupiter, qui a employé tant d’indécentes métamorphoses pour séduire une foule de mortelles, & pour les ravir à leurs parents ou à leurs maris. Rien n’est moins sage qu’une pareille conduite, les mœurs y sont cruellement blessées, & ce Dieu là seroit aujourd’hui un très malhonnête homme.
La Muse se retire ; la Syrene revient accompagnée de Sylvains & de Driades, & chante sur sa lyre :
Venez tous écouter ma lyre,
Avec elle écoutez mes chants ;
L’amour en forme les accens,
Et c’est le plaisir qu’elle inspire.
Les Faunes & les Driades forment un ballet champêtre au son de la lyre de Parthenope. Linus paroît. Ils terminent leur danse ; & se retirent. Parthenope témoigne à Linus la crainte qu’elle a que les Muses l’emportent sur elle : non, lui répond-il tendrement :
Non, ce n’est qu’à vos loix
Que Linus charmé veut se rendre.
Les trouverois-je ailleurs ces charmes que je vois ?
Cette voix que j’adore, où pourrois l’entendre ?
Parthenope lui replique par ce joli vers :
Ah ! si vous l’écoutez, vous la rendrez plus tendre.
Elle chante :
Lorsque Vénus sortit du sein de l’onde,
Son regard sur la terre enfanta le desir.
L’espoir de tous les cœurs vint bientôt se saisir ;
Et l’amour achevant les délices du monde,
Donna la naissance au plaisir.
Ces paroles sont bien dans la bouche d’une Syrene : voilà son vrai langage.
Parthenope & Linus confirment leurs flammes mutuelles par un duo. Elle veut, pour punir les Muses d’oser condamner l’ardeur que les Syrenes inspirent par leurs chants voluptueux, elle veut qu’Uranie à son tour en éprouve toute l’ivresse. La maligne Syrene à cet effet suspend à un arbre une lyre enchantée, qui pénetre d’amour ceux qui la touchent. Peut-être l’Auteur eût pu faire parvenir cette lyre avec plus d’adresse entre les mains d’Uranie ; mais à l’Opera on est si pressé du temps, que l’expédient le plus court paroît toujours préférable.
Parthenope apperçoit Uranie, & fort avec Linus. La Muse porte ses premiers regards sur la lyre ; en la prenant, elle est surprise que les premiers sons qu’elle en tire soient des sons amoureux :
Douce volupté d’un cœur tendre,
Triomphez de tous les plaisirs.
La crainte d’abord l’arrête, mais elle se rassure en disant :
Ce sont de vains accords qu’emportent les Zéphyrs.
Elle continue, & fait entendre alors cet air enchanteur qui la subjugue & tout le Public avec elle :
La sagesse est de bien aimer,
Et d’aimer toujours sans partage :
On est heureux, si l’on peut s’enflammer ;
Si l’on est constant, on est sage ;
La sagesse, &c.
Linus paroît, & la Muse lui déclare avec la liberté d’une Syrene l’amour qu’elle sent pour lui. Linus de son côté lui avoue avec la même franchise qu’il brûle d’une ardeur aussi tendre, mais qu’une autre est l’objet de sa flamme, & qu’Apollon consent de l’unir avec Parthenope qu’il adore. Le Parnasse tout à coup est éclairé : Apollon suivi des Muses en descend, & rompt l’enchantement qui troubloit la raison d’Uranie, en lui donnant sa lyre à la place de celle qu’elle avoit. Il chante ensuite :
Accourez, Muses & Syrenes,
Venez seconder mes desirs.
Que vos talents unis forment les douces chaînes
Qui menent aux plaisirs.
Terpsichore arrive. Elle donne des leçons de danses aux Faunes qui font des pas réguliers. Ils se mêlent aux Muses & aux Syrenes, ce qui forme un ballet général, & termine l’acte.
La scene de la troisieme entrée est à Théos chez Anacréon. Elle ouvre d’une maniere brillante, & tout à fait dans le caractere du héros & du sujet. L’appartement d’Anacréon est orné pour une fête. On y voit les statues de l’Amour & de Bacchus. Ce Poëte aimable y paroît à table avec plusieurs convives. Lycoris, sa maîtresse, est à la tête d’une troupe de jeunes Esclaves qui leur versent à boire, & qui dansent autour d’eux en les couronnant de fleurs. L’acte commence par ce chœur :
Regne, ô divin Bacchus, enflamme nos esprits !
Que le transport de ton ivresse
A chaque instant renaisse
Avec la tendresse & les ris.
Regne, ô divin Bacchus,&c.
Anacréon adresse ensuite ces jolies paroles à Lycoris dans le moment qu’elle lui verse à boire en dansant autour de lui :
Nouvelle Hébé, charmante Lycoris,
Vole, répands les fleurs qui parent ta jeunesse ;
Verse nous le nectar, fais-le couler sans cesse.
Charmante Lycoris,
Sois dans ce temple heureux l’adorable Prêtresse
De tous les Dieux que je chéris.
Le chant d’Anacréon rend la danse de Lycoris plus vive, & la danse de Lycoris rend à son tour le chant d’Anacréon plus gai. Il exprime sa joie brillante par cet air tendre bachique :
Point de tristesse,
Passons nos jours
Dans les amours
Et dans l’ivresse.
Bûvons sans cesse,
Aimons toujours, &c.
Ces chants sont interrompus par une symphonie bruyante, & la fête est troublée par l’arrivée de la Prêtresse de Bacchus, qui entre accompagnée d’une troupe de femmes inspirées, représentant les Menades, portant des thyrses & des flambeaux. Elles renversent tout, brisent la statue de l’Amour, arrachent Lycoris des bras d’Anacréon, & sortent victorieuses. L’Auteur a fait ici un changement très convenable. Les convives ne se remettent plus à table, ils se retirent tous en même temps que la Prêtresse de Bacchus.
Anacréon reste seul, & son sommeil est l’effet du pouvoir de l’Amour & non de celui du Dieu du vin. A peine est-il endormi qu’il est réveillé par le bruit d’un orage affreux, & par les cris d’un enfant qui se plaint qu’il va périr. Cet enfant est l’Amour. Anacréon attendri court ouvrir à ce Dieu, qui paroît en habit d’Esclave dans un grand désordre ; il lui demande quelle est sa patrie & son maître. Le faux Esclave lui répond qu’il est né à Cythere, & qu’il sert Lycoris. Un ingrat, dit-il,
Un ingrat qu’elle aimoit la quitte avec mépris,
Le courroux s’est emparé d’elle :
J’ai moi-même éprouvé ses transports furieux.
J’ai fui sa disgrace cruelle,
Et mes pas égarés m’ont conduit en ces lieux.
ANACRÉON
Quel est donc cet Amant coupable ?
L’AMOUR
Ah ! de tous les mortels il fut le plus aimable,
Avant ce jour
C’étoit l’Amour
Qui tenoit chez lui son empire.
Les Graces montoient sa lyre ;
Les jeux venoient à l’entour
Danser, folâtrer&rire.
Aujourd’hui la fureur d’un bachique délire
Les a bannis de ce séjour.
ANACRÉON
Le déclin de l’âge
Peut-être l’engage
A quitter leur cour.
On fuit avec moins de peine
Un vieillard comme Silene,
Qu’un enfant comme l’Amour.
L’AMOUR
L’infidele sur ses traces
Guideroit encor les Graces,
Et je sçais que Lycoris
De l’Amant qui l’abandonne
N’auroit pas donné l’automne
Pour le printemps d’Adonis.
Qu’on juge par ce dialogue des graces & du talent de l’Auteur pour ce genre. Anacréon considere alors plus attentivement l’Amour déguisé, & le reconnoît en disant :
Mais vous, que j’observe à mon tour,
Enfant mystérieux, que je cherche à connoître…
Esclave… ah ! vous êtes mon maître,
Et je suis aux pieds de l’Amour.
Rendez-moi Lycoris, je quitte tout pour elle.
On ne pouvoit pas faire un usage plus heureux de l’ode la plus ingénieuse d’Anacréon, pour amener le dénouement de cet acte qui forme un tableau aussi agréable que continu.
Les Graces ramenent Lycoris que l’Amour présente à Anacréon. Les Menades reviennent pour troubler cette union ; mais l’Amour qui se fait connoître arrête leur transport, & les soumet par cet air vainqueur : pouvoit-il manquer son effet ? c’est l’aimable Mlle le Miere qui les chante : c’est l’Amour lui-même :
L’Amour est le Dieu de la paix :
Regne avec moi, Bacchus, partage mes conquêtes.
Je lance par tes mains de plus rapides traits ;
Viens, triomphe, embellis nos fêtes,
Mais ne les trouble jamais.
La statue de l’Amour est rétablie. Les suivans de Bacchus vont porter à ses pieds leurs thyrses & leurs couronnes. La suite de l’Amour va de son côté orner de myrthes & de fleurs la statue de Bacchus. Les chœurs de danse se mêlent ; Lycoris (Mlle Puvigné) préside à la fête. Personne ne pouvoit mieux en faire les honneurs. Les deux chœurs chantent :
Quel bonheur pour nous ! quelle gloire !
Tout s’unit pour nous enflammer.
Bacchus ne défend pas d’aimer,
Et l’Amour nous permet de boire.
Ce chœur, suivi de la contredanse, termine cette entrée qui a réussi avec justice, & qui auroit pris encore davantage dans un temps où Bacchus avoit plus de partisans, & où l’on ne mettoit point d’eau dans son vin. »
Mercure de France, août 1757, p. 201
« Le mardi 12 Juillet, l’Académie royale de Musique donna pour la premiere foisl es Sibarites, acte nouveau qu’elle a substitué à celui de la Lyre enchantée. Cet acte est très bien mis au théâtre ; la décoration est convenable au sujet. Les habits sont des plus galans : tout y est assorti, tout y est dans le caractere. Le goût y a réglé la dépense. Il a été représenté devant le Roi à Fontainebleau, le 13 Novembre 1753.
Il n’y a que deux principaux rôles ; Hersilide, Reine de Sibaris, & Artole, Général des Crotoniates. L’un & l’autre sont parfaitement remplis. Le premier par Mlle Chevalier, & le second par M. Larrivée, qui fait tous les jours de nouveaux progrès. Cette entrée a beaucoup réussi. Le poëme est de M. Marmontel ; il nous a paru bien fait, heureusement coupé, & vraiment théâtral par le contraste qu’il présente. Les Crotoniates veulent subjuguer les Sibarites par la force des armes, & sont soumis eux-mêmes par l’attrait de la volupté. La musique est de M. Rameau : elle est d’une grande beauté. On y reconnoît l’Amphion de nos jours : une nouvelle haute-contre (le sieur Pepin) y a debuté par un air détaché, où il a déployé un grand volume de voix. Il joint la figure à l’organe, & a reçu de la nature des dons que l’art perfectionnera ; on le souhaite trop pour ne pas l’espérer. Nous ne sçaurions donner trop d’éloges à la fête qui termine cet acte. Elle est composée de trois pas aussi brillans que variés. Le premier est un pas fort de Crotoniates, qui est très bien rendu par MM. Lyonnois & Laval. Le second est un pas voluptueux de Sibarite, M. Vestris le danse seul, & le danse avec autant de goût qu’il est habillé.
Le dernier est rempli supérieurement par Mlle Lani, qui représente une Sibarite, & par M. Lani, son frere, qui représente un Crotoniate. Ce ballet ne laisse rien à desirer. »
Mercure de France, juin 1757, p. 163
« LE mardi 31 Mai, l’Académie Royale de musique a donné, pour la premiere fois, les Surprises de l’Amour ,Ballet composé de trois actes séparés, l’Enlévement d’Adonis, la Lyre enchantée, & Anacréon. Messieurs Rebel & Francœur n’ont rien oublié pour le bien mettre au Théâtre, & pour assurer la réussite qu’il a , & qu’il mérite. Les deux premiers actes ont été représentés à Versailles, devant le Roi, sur le Théâtre des petits appartemens, en 1748. Celui d’Anacréon a tout le mérite de la nouveauté. On peut dire que le plaisir l’a dicté, & que les graces l’exécutent. Mademoiselle Puvigné y préside, & sous le nom de Lycoris, fait l’office d’Hébé auprès d’Anacréon, à qui elle verse à boire. Ses pas séducteurs ont toute l’expression du chant le plus tendre, & se marient parfaitement à la voix harmonieuse de son maître (1), qui devient son esclave. Cet acte plaît généralement. Le second, qui est l’Enlévement d’Adonis, n’est pas moins goûté. Nombre de connoisseurs lui donnent même la préférence. Il a l’avantage d’être terminé par un Ballet figuré, qui est aussi rendu, qu’il est imaginé. Il naît du sujet. Endimion & Diane, qui, conduite par l’Amour, descend exprès du ciel pour venir le trouver, en sont les Acteurs. Ces deux personnages sont représentés par Monsieur & Mademoiselle Vestris, qui exécutent ce pas avec toutes les graces & toute la volupté qu’il demande, & que la musique inspire. On ne peut pas mieux jouer la danse. Leur départ avec l’Amour, dans un char qui les enleve au ciel, forme le tableau le plus séduisant, & laisse dans l’ame des spectateurs une impression de plaisir, qui leur arrache un applaudissement unanime.
L’acte de la Lyre enchantée, quoique moins vif ; & que l’ensemble paroisse faire moins d’effet, offre des détails très-agréables. Il y a surtout un air de distinction (la sagesse est de bien aimer), qui est chantée supérieurement par Mademoiselle Chevalier, & qui pourroit seul faire le succès d’un acte. Ce qui donne un nouveau prix à cette entrée, Mademoiselle Fel, qu’on avoit craint de perdre, y représente une Syrene, dont le rôle lui convient si parfaitement, & Mademoiselle Lany y fait les honneurs de la danse, sous le nom de Terpsichore, qui est devenu le sien par la supériorité de son talent.
La musique de cet Opera est de Monsieur Rameau, & digne de lui. Les paroles sont de Monsieur Bernard, & l’on peut les louer, sans être accusé de mauvais goût, ou soupçonné de mauvaise foi. L’extrait & les détails que nous en donnerons au plutôt, justifieront ce sentiment. Pour commencer aujourd’hui à le prouver, nous allons citer les paroles suivantes, qui sont transcrites de la troisieme scene du premier acte. Elles suffiront pour prévenir avantageusement ceux de nos Lecteurs qui ne connoissent pas l’ouvrage.
L’AMOUR à Adonis
Dans ces lieux écartés n'a-t’on point vu l'Amour
ADONIS
L'Amour ? qui ? ce monstre terrible !
Ce fatal ennemi du repos des humains !
Ah ! qu'il éprouveroit un châtiment horrible,
S'il tomboit dans nos mains.
L’AMOUR
Le Dieu qui fait aimer, le Dieu qui rend aimable,
Est-il un monstre redoutable ?
Hélas ! peut-on le craindre ? il est fait comme vous.
Dans un âge si tendre, avec des yeux si doux,
Le Dieu qui fait aimer, le Dieu qui rend aimable,
Est-il un monstre redoutable ?
ADONIS
Il est armé de feux vengeurs….
L’AMOUR
Ses feux sont de douces ardeurs,
Qui brillent dans les yeux, qui coulent dans les veines.
ADONIS
Il mêle à ses plaisirs des rigueurs inhumaines.
L’AMOUR
Jugez du prix de ses faveurs,
Puisqu'il fait adorer ses peines.
ADONIS
Il ne se nourrit que de pleurs.
L’AMOUR
Il est le Dieu des ris.
ADONIS
Ses liens sont des chaînes.
L'AMOUR
Ses chaînes sont des fleurs.
A ce dialogue léger, à ces images riantes, on reconnoît l’aimable Auteur de l’Art d’aimer. Nous ne devons pas oublier les deux Actrices qui remplissent cette scene. Mademoiselle Dubois y est applaudie dans le rôle d’Adonis, qu’elle représente, & Mademoiselle le Miere y brille dans celui de l’Amour, à qui elle ressemble. Elle le joue avec autant de grace, qu’elle le chante. Elle paroît sous le même personnage dans Anacréon : mais elle y est si bien, qu’on l’y trouve toujours nouvelle. Elle a tout ce qu’il faut pour séduire. Elle joint à l’art du chant les charmes de la figure ; & l’Académie de musique ne pouvoit faire une meilleure acquisition. Nous ne sçaurions finir cet article, sans rendre justice aux Ballets. Ils sont tous aussi agréables, qu’ils sont bien dessinés, & contribuent beaucoup à la réussite de cet Opera, qui est aussi-bien décoré qu’il est habillé.
(1)Le rôle d’Anacréon est heureusement rempli par Monsieur Gélin, qui se perfectionne tous les jours. »
Mercure de France, septembre 1757, p. 179
« L’ACADÉMIE royale de Musique a continué jusqu’au 16 Août les Sibarites, précédés de l’Enlévement d’Adonis, & suivis d’Anacréon. Ces trois actes réunis forment un ballet des plus agréables, & qui mérite d’être repris dans une saison plus favorable. On a vu l’extrait de la premiere & de la troisieme entrée dans le Mercure précédent, nous allons donner dans celui-ci l’extrait des Sibarites.
Extrait des Sibarites. Le théâtre représente un amphithéâtre de verdure, couvert d’arbres en berceaux. Au fonds on voit un trône de fleurs. Hersilide élue Reine de Sibaris vient s’y placer, & l’acte commence par un chœur de peuples qui lui rendent hommage, & qui chantent :
Regnez, mortelle adorable,
Au sein d’un bonheur durable
Faites couler nos loisirs.
Quel empire est préférable
A l’empire des plaisirs !
Un Sibarite lui dit galamment :
A Sibaris comme à Cythere,
La beauté doit donner des loix.
Quand les cœurs choisissent leurs Rois,
L’art de régner, c’est l’art de plaire.
La danse qui suit le chant est interrompue par un bruit de guerre. On vient annoncer à la nouvelle Reine que les Crotoniates ont surpris la ville de Sibaris, & qu’ils sont maîtres de ses remparts. Les Sibarites sont prêts à prendre la fuite, Hersilide les arrête en leur disant :
Peuples, rassurez vos esprits,
Ce péril n’a rien qui m’étonne :
Volez au devant des Vainqueurs,
Recommencez vos jeux paisibles.
Ils vous portent des fers, présentez-leur des fleurs.
C’est vous qui serez invincibles :
L’Empire du plaisir s’étend sur tous les cœurs.
Les Sibarites vont au devant des Crotoniates. Hersilide seule invoque le fils de Vénus par ces paroles si bien faites pour le sujet, & qui reçoivent une nouvelle force de la beauté de la musique.
Tendre amour, prête moi tes armes :
Mon trône est ton autel, mon empire est le tien.
D’un regne dont tu fais les charmes,
Sois le vengeur&le soutien.
Vole, enchaîne un peuple rebelle
Par les mains de la volupté ;
Partout où regne la beauté,
L’Amour triomphe avec elle.
Hersilide sort. Les Crotoniates paroissent armés. Les Sibarites qui les accompagnent en dansant, leur présentent des fleurs, & les invitent à suivre la voix des plaisirs. Astole, chef des Crotoniates, leur répond fiérement :
Peuple efféminé, cœurs timides,
Foulez aux pieds ces fleurs indignes de vos mains :
Armez-vous, imitez des Guerriers intrépides
Qui vont ennoblir vos destins.
Hersilide se montre, Astole est frappé de l’éclat de ses charmes. Elle lui demande avec douceur s’il vient prendre part à leurs plaisirs tranquilles : Non, lui replique Astole :
D’un peuple enseveli dans un honteux repos,
Je viens ranimer la foiblesse ;
Des esclaves de la mollesse
Mon exemple &mes loix vont faire des Héros.
Hersilide combat le destin d’Astole, en lui disant tendrement :
Aimer, plaire à ce qu’on aime,
Goûter la douceur extrême
De le voir ou d’y rêver,
Voilà nos vrais trésors : ah ! sans nous en priver,
Pourquoi n’en pas jouir vous-même ?
Astole lui répond quela gloire l’appelle à d’autres soins. Elle lui replique :
Comparez ses travaux affreux
Aux tranquilles plaisirs de ce séjour champêtre :
Vous nous défendez d’être heureux,
Et nous vous invitons à l’être.
Le Crotoniate qui se sent toucher, veut fuir, & lui fait brusquement ses adieux. Hersilide l’arrête en s’écriant :
Cruel ! vous allez donc désoler ce rivage ?
Astole que ces mots attendrissent encore plus, lui dit :
Rassurez vos sujets, loin de m’armer contr’eux,
Je veux dans leur bonheur respecter votre ouvrage :
Ils vivent sous vos loix, sans doute ils sont heureux.
Adieu…
Cet adieu est prononcé d’un ton différent du premier, il annonce la défaite prochaine d’Astole. M. Larrivée a très bien saisi la nuance, & rend ce rôle dans son vrai caractere. Hersilide qui s’apperçoit de ses avantages, le prie d’être au moins le spectateur de leurs jeux. Astole ne peut résister à la douce instance d’Hersilide, & lui adresse ces mots qui expriment toute la force de son trouble :
Apprenez-moi du moins quel pouvoir invincible
Enchaîne sur vos pas mon orgueil abattu :
Pour rompre ce charme invisible,
Je rappelle en vain ma vertu,
Et mon cœur étonné se reconnoît sensible.
Hersilide lui répond par cette ariette charmante, dont la musique rend si bien l’agrément des paroles :
C’est un enfant qui vous enchaîne :
Il folâtre, il voltige, il blesse au même instant ;
Il attaque sans bruit, il triomphe sans peine :
Moins le combat est éclatant,
Et plus la victoire est certaine.
C’est un enfant, &c.
Cette scene, qui constitue l’acte, nous paroît des mieux faites. Astole s’avoue alors vaincu, & dit à sa suite :
Guerriers, la paix succede à nos sanglans projets :
Adorez cette Reine, épargnez ses sujets :
Chantez, célebrez la victoire,
Et l’empire de la beauté :
Elle désarme la fierté,
Elle triomphe avec elle.
Les Sibarites & les Crotoniates unis répetent ces dernieres paroles :
Chantons, célébrons la victoire, &c.
La musique de ce chœur si justement applaudie est de la plus grande beauté. Les Crotoniates forment des jeux, & se joignent ensuite aux Sibarites. Un ballet général termine l’acte. Nous avons rendu compte de ce divertissement ; nous ajouterons seulement que MM. Rebel & Francœur l’ont enrichi de plusieurs airs qu’ils ont emprunté de M. Rameau même (ces airs sont tirés du Temple de la Gloire, & d’Acante & Céphise) ; on peut dire qu’ils ont servi ce grand homme comme il le mérite, & qu’ils l’ont embelli de ses propres beautés.
L’extrait que nous donnons de ce poëme suffit pour justifier le bien que nous en avons dit, & pour faire connoître au Lecteur impartial le talent de M. Marmontel pour ce genre. Ses vers pour être pensés, qu’on nous permette ce mot, n’en sont pas moins lyriques. On doit faire d’autant plus de cas de ces deux qualités réunies, qu’elles se rencontrent rarement ensemble. Nous sommes charmés de trouver cette occasion de rendre justice à l’Auteur. Nous en profitons en même temps pour le remercier des jolis Contes dont il a décoré plusieurs Mercures de cette année. »
Mercure de France, janvier 1759, p. 188
Mercure de France, janvier 1759, p. 188
Mercure de France, octobre 1758, p. 181
« LE 10 de ce mois, on remit à ce Théâtre les Surprises de l’Amour, Ballet dont la musique est de M. Rameau, & les paroles de l’Ovide de notre siecle. Le succès de l’acte d’Adonis & de celui d’Anacréon étoit décidé dès la nouveauté : de ces deux actes ingénieux, on sçait que l’un roule sur une alternative semblable à la situation d’Héraclius.
Devine, si tu peux, & choisis, si tu l’oses !
Mais dans un sujet aussi galant que celui d’Héracliusest terrible : l’autre présente en action cette Ode d’Anacréon, que la Fontaine a imitée, & qu’on a mise depuis en chanson.
J’étois dans mon lit tranquille, &c.
Je ne connois rien dans le genre gracieux de mieux fait que la scene d’Anacréon & de l’Amour.
Deux tableaux aussi riants ne peuvent cesser de plaire, & le succès en est d’autant mieux mérité, que la musique semble le disputer en coloris à la poésie.
L’acte de la Lyre enchantée avoit paru foible auprès des deux autres ; M. Rameau l’a enrichi d’un morceau d’harmonie qui peint l’enchantement de la Lyre, & qui me semble digne de la jeunesse de son Auteur. Il y a joint aussi des airs de danse, sur lesquels les Muses & les Syrenes se disputent le prix. Mesdemoiselles Lany & Puvigné, l’une dans le léger, l’autre dans le gracieux, balancent le suffrage d’Apollon, qui les couronne l’une & l’autre. »
Correspondance littéraire (Grimm)
Correspondance littéraire […] depuis 1753 jusqu’en 1769, par le baron de Grimm, 1ère partie, Tome 2, 1757, p. 233
« LA direction de l’opéra vient de passer entre les mains de MM. Rebel et Francœur. Après avoir été long-temps les directeurs de ce spectacle, sous les auspices du prevôt des marchands et de la ville de Paris, ils en sont devenus les entrepreneurs pour leur compte. Sous ce nouvel établissement, l’académie royale de musique a donné cet été un opéra nouveau, dont la musique est de M. Rameau, et les paroles sont de M. Bernard, non moins connu à Paris par ses ouvrages que par ce joli quatrain que M. de Voltaire lui adressa autrefois :
Gentil Bernard est averti,
De par l’amour et par Cythère,
Que l’art d’aimer doit samedi
Venir souper chez l’art de plaire. (1)
C’était feu madame la duchesse de Luxembourg qui priait M. Bernard de venir souper chez elle, et lire le poëme de l’Art d’Aimer. C’est un poëme que M. Bernard n’a pas mis au jour non plus qu’un autre intitulé, Phrosine et Mélidor, mais qu’il récite de temps en temps à ses amis et dans ses sociétés. Tout ce qui a été publié jusqu’à présent de ce poëte, est un opéra tragique, intitulé : Castor et Pollux. Celui qu’on vient de représenter a eu un succès médiocre et contesté. Je ne parlerai point de la musique, ceux qui sont le plus enthousiasmés du talent de M. Rameau conviennent, ce me semble, que ce n’est pas là un de ses meilleurs ouvrages. D’ailleurs, en jugeant la musique française, il faut tant d’indulgence pour le genre et pour son caractère, que le plus court est de n’en point parler. M. Bernard a intitulé son poëme : les Surprises de l’Amour, ballet ; il consiste en trois actes séparés, tirés de la fable. Les poëtes lyriques et les peintres de cette nation, ont un tort commun dont ils ne paraissent prêts à se corriger ; c’est de traiter de préférence la fable. Les Métamorphoses d’Ovide sont le grand réservoir où ils puisent leurs sujets ; les poëtes dramatiques et même les peintres d’Italie n’ont eu garde de tomber dans ce défaut […].
On serait, comme vous voyez, bien habile de ne point faire une fort mauvaise chose en faisant un opéra ; on prend toutes les précautions du monde pour cela ; et si vous voulez vous donner la peine d’examiner les Surprises de l’Amour de M. Bernard, vous n’y trouverez non-seulement ni fonds, ni feu, ni génie, mais à chaque pas vous serez arrêté par un dialogue qui n’a nulle vérité, nulle idée, nulle conduite. Le premier acte a pour sujet l’enlèvement d’Adonis : il me paraît très froid et le dénouement en est plat. Le troisième acte, intitulé Anacréon, a pour sujet ce conte charmant d’Anacréon, qui retire chez lui par pitié un enfant accablé par la rigueur de la saison ; cet enfant est un ingrat qui reconnaît mal ses bienfaits : c’était l’Amour. Ce sujet qui me paraît tout-à-fait défiguré dans le poëme dont j’ai l’honneur de vous parler, serait charmant, non pour un acte d’opéra, mais pour un ballet pantomime. Le second acte qui a plus réussi que les autres, est intitulé la Lyre enchantée. Parthenope, une syrène, initie le fils d’Apollon, Linus, dans les mystères de l’amour ; elle en est adorée ; la muse Uranie voudrait conserver le cœur de Linus à la sagesse ; la syrène a une lyre enchantée qui donne de l’amour à ceux qui la touchent : Uranie la prend imprudemment, cela fait faire à cette muse si auguste, une déclaration d’amour à son élève, qui serait fort ridicule si elle n’était pas si plate. Apollon est obligé de paraître pour faire cesser l’enchantement ; c’est mettre les dieux en chemin pour peu de chose ; il approuve en bon père les amours de son fils et de la syrène. Au reste, tout le poëme, et en particulier ce second acte, m’ont paru fort mal écrits.
(1) Nous conservons la version du manuscrit, quoique ce quatrain nous semblât beaucoup mieux si l’on substituait le second au premier, et le premier au second, comme il a paru dans plusieurs versions connues. »